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En direct de Verdun

André Maure (1887-1958) était en formation chez les Oblats. Ordonné prêtre par l’évêque de Bayeux en 1916, il fut dès le lendemain envoyé à Verdun. Sa première lettre donne une idée de ce qui s’y passait :

« Je ne veux pas tarder à vous dire comment s’est passée ma première nuit de sacerdoce sous Verdun. Je venais à peine de rejoindre mon régiment que déjà j’entends parler d’une corvée à faire ; je demande la faveur d’accompagner, comme brancardier, l’équipe des braves qui se rendent, le soir même, au ravin de la Mort, en face du fort de Vaux, pour effectuer des travaux de terrassement.

Nous partons sous la pluie battante. Les ombres de la nuits enveloppent la contrée d’un silence de mort. Les crêtes avoisinantes lancent des éclairs qui zèbrent de lueurs sinistres les plus obscurs passages. Les yeux alourdis supportent péniblement cette succession de lueurs violentes et d’épaisses ténèbres. Il pleut toujours et les boyaux sont transformés en torrents ou en mares stagnantes. Enfin, après trois heures de marche, nous arrivons.

Un bombardement terrible nous accueille. Du premier coup : deux grands blessés et un tué. Il s’agit de les transporter au poste de secours. C’est loin, très loin; le boyau de communication est hérissé d’obstacles. Tantôt on se traîne sur ses mains, on rampe dans la boue; tantôt on grimpe sur des remblais pour éviter les troncs d’arbres couchés en travers du chemin. Le brancard pèse lourdement sur les épaules ; on trébuche et l’on tombe dans des trous énormes remplis d’une eau fétides. La pluie fait rage autant que les obus. Au petit matin, je me perds aux abords d’un bois dont il ne reste que des débris déchiquetés et pêle-mêle. De tous côtés gisent des cadavres, bêtes et gens, des caissons éventrés, des canons, des autos, des attelages abandonnés dans un état pitoyable. C’est la guerre avec ses horreurs. Vient à passer, sous les rafales, un ravitaillement d’artillerie, au grand trot de ses six chevaux. Je me cramponne à un caisson et j’arrive à mon point de départ, méconnaissable, tout englué d’une boue liquide, tout heureux cependant de pouvoir, quelques instants plus tard, monter au saint autel. »

Quelques mois après la bataille, un autre Oblat en fera la description suivante :

« Ici, c’est le désert, un désert chaotique qu’on ne saurait imaginer sans l’avoir vu. Ce sont des dunes, dunes archi-tourmentées par la violence du cataclysme, sur l’emplacement même des forêts qui revêtaient d’ombre, de fraîcheur et de poésie ce coin de terre lorraine où vous aimiez vous reposer des fatigues de l’apostolat. ça et là l’invasion d’une armée de coquelicots nuance de larges taches de sang la terre rouge qui semble avoir été brûlée par la foudre. C’est qu’en effet la vague de furie a déferlé, vague de fer, de feu, de haine, vague de sang. Elle a tout détruit, dévasté, englouti. Cette lave a du jaillir du sol, semble-t-il, en véritables geysers de feu, sur de vastes espaces, retournant collines et vallées, trouant la terre comme une écumoire. Des cratères de toute dimension au regard offrent je ne sais quelle vision tragique.

le ravin de la mort. Des soldats dans une tranchées. Au dessus, une forêt dont les arbres sont totalement détruits
Voici le ravin de la Mort : locus horroris et vastae solitudinis. La tempête avant d’escalader les pentes qui aboutissent au fort, à dû faire rage en cet endroit. Au sommet, le colosse dresse encore son torse de granit. Il a vu le flux et le reflux de la bataille. Témoin de tant d’horreurs, il n’en reste pas moins impassible sur ses bases et paraît narguer les noirs bataillons de l’ennemi dont la présence se révèle exaspérée dans la plaine de la Woêvre. Là-bas, c’est l’immensité des ruines, parmi lesquelles surgissent des milliers de tertres surmontés de la croix. On ferait bien, après la tourmente, de planter le signe de la rédemption au sommet du colosse de pierre. Les grands bras du Crucifié étendus vers la plaine, où dorment leur dernier sommeil les victimes de la Grande Guerre, inviteraient les pèlerins à prier pour nos héros et préluderaient aux gloires de la Résurrection. Cette nouvelle vallée de Josaphat n’inspirerait plus alors la poignante tristesse qui remplit nos yeux de larmes à la vue de ces pauvres tombes… »

« Ma dernière Vision de guerre »
(eau-forte de Léon Broquet)
Deux soldats face à face,dans une tranchée
« Tranchée au bois Fumin »
(J.-F. Bouchor – août 1917)
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