Résistance à Liège
Lorsque l’on évoque la guerre 14-18, on pense aux tranchées, à Verdun et au Chemin des Dames. Mais cette guerre, ce furent également des régions entières occupées par les Allemands, dans le Nord de la France, ou encore en Belgique.
Ainsi la ville de Liège où les Oblats français avaient installés leur maison de formation autour de l’église Saint-Lambert de Grivegnée, après les expulsions de 1903. Ils y vécurent la guerre en régime d’occupation, dans une ville où s’organisait la résistance. C’est ainsi que Pierre Richard, supérieur du scolasticat, fut arrêté par la police allemande un soir de juillet 1917 tandis que l’économe de la Maison, Corentin Le Borgne, échappait de justesse à l’arrestation, étant alors sorti !
Plusieurs actes d’accusation leur étaient reprochés : avoir parlé en termes injurieux de l’Allemagne et du Kaiser, avoir fait passé des jeunes à la frontière des Pays-Bas, avoir fabriqué de fausses cartes d’identité, avoir hébergé des soldats alliés, avoir acheté le chauffeur d’un train pour le transports clandestins de soldats alliés, avoir participé à l’attentat visant le dernier pont encore debout à Liège.
Comme le dira ultérieurement Corentin Le Borgne :
Il y avait du vrai dans toutes ces accusations ; nous n’avions pas fait tout ; mais nous avions participé à tout. Nous avions fabriqué de fausses cartes d’identité qui permettaient de circuler en ville ou bien aux alentours des forts pour surprendre des renseignements utiles. Grâce aux policiers belges, on enlevait aux policiers boches des feuilles imprimées. Mais le difficile, c’était de se procurer le tampon de la Kommandantur : on y suppléait au moyen d’une pomme de terre, de même largeur, que l’on coupait par le milieu, et que l’on appliquait toute fraîche sur le cachet boche, pour la transporter ensuite délicatement sur la fausse carte : rien de plus facile, pourvu qu’on y pense.
Il y avait bien quelques bavures mais on disait au policier qui vous interrogeait que c’était sans doute la faute de son collègue qui avait dû mettre son tampon sur une photographie trop humide et comme tous les policiers ne sont pas pour cela des limiers, le tour était joué !
Nous avions caché des soldats échappés du champ de bataille ou des prisons d’Allemagne, ainsi que des civils poursuivis pour le crime de haute trahison. Nous les avions nourris pendant de long mois, ce qui n’était pas chose facile étant donné la cherté et la rareté des vivres.
Nous avions mal parlé de l’Allemagne et du Kaiser, disait-on. Et, de fait, du haut des principales chaires de Liège, on ne se gênait pas pour dire la vérité, sans souci de la vie : « Melior veritas super vitas ». D’ailleurs, il n’y avait qu’à suivre le courageux exemple donné par les évêques et le cardinal de Belgique, dont ni les menaces, ni les promesses ne purent jamais cadenasser les lèvres, ni enchaîner la parole.
En décembre 1916, nous achetâmes le conducteur et le chauffeur d’un train. Ce train quittait Liège-Longdoz pour Cologne, en passant par Visé. Il emportait 204 fugitifs ; parmi ces fugitifs se trouvait un de nos professeurs, le P. Romestaing, qui conduisait au péril de sa vie un sous-officier russe ne connaissant ni un mot de français, ni un mot d’allemand. Mais arrivé à Visé, le train, au lieu de filer sur Maestricht et sur la Hollande, comme c’était convenu, fila sur Cologne et l’Allemagne ; au lieu de la liberté, ce fut la captivité pour la moitié des voyageurs. Avions-nous été trahis par le conducteur et le chauffeur, ou bien les avait-on remplacés en cours de route ? On ne l’a jamais su. Mais on se laissa pas déconcerter. En temps de guerre, « il ne faut pas s’en faire », quand un moyen ne réussit pas, on en cherche un autre.
En janvier 1917, nous achetâmes le Pilote d’un remorqueur boche : l’Atlas n°5. Mais cette fois, pour n’être pas joués, on paya au Pilote un bon souper, suivi d’un bon café qui l’envoya au royaume des rêves. Très opportunément, la Meuse avait une crue qui favorisa nos opérations, en nous permettant de franchir les barrages. Le Pilote boche fut remplacé par trois pilotes belges : car, il fallait compter avec les projecteurs et avec les projectiles. Au cas où le premier pilote tomberait, il serait remplacé par le second, et le second par le troisième.
On entoura le gouvernail d’une cabine blindée pour les protéger contre les mitrailleuses. On embarqua 108 passagers, dont plusieurs porteurs de papiers importants, enlevés à la Kommandantur. Puis on quitta Liège le 5 janvier pour aborder Maestricht 35 minutes après ; jamais bateau n’avait descendu la Meuse à pareille allure. Au pont de Visé, dit-on, un ponton boche barrait le fleuve et cria : Halte ! on lui répondit en le coupant en deux et en l’envoyant au fond de l’eau avec les deux mitrailleuses et les sept mitrailleurs qu’il portait.
A l’hôtel de Maestricht, on illumina, on pavoisa, on toasta. Dans la chaleur communicative du banquet, on porta la santé des » Bons Pères », ce qui ne fut pas perdu pour la police boche, embusquée dans tous les coins et recoins de la Hollande ».
Le dernier acte fut sans doute de trop. Les Oblats ayant prêté un appareil photo pour aider au repérage des fissures du pont à faire sauter, le supérieur fut donc arrêté, et l’économe, Corentin Le Borgne à qui l’on doit ce récit, dut se cacher durant les 16 mois de guerre restants, dans une petite pièce, au sein d’une communauté de religieuses, non loin de la maison des Oblats ! Pierre Richard, quant à lui, fut condamné à six mois de prison.
De retour au scolasticat six mois plus tard, il témoignera par ailleurs de la fin de la guerre à Liège, quand sévit la terrible grippe espagnole :
Octobre-novembre 1918 : la grippe espagnole nous envahit juste un peu avant l’armistice ; 8 malades le 5 novembre, 15 le 12 novembre ; des infirmeries à tous les étages de nos 145 marches d’escalier; peu d’infirmiers; plus de noviciat ni de scolasticat; rien que des lits avec dedans des fièvres de 39° à 40° pendant 4, 5, 8 jours ! Avec les tracas de la débâcle allemande, les alertes de voleurs dans nos caves, les pavoisements et les fêtes de tout un peuple en allégresse, les logements des troupes françaises et belges, et puis les visites de nos chers soldats de toutes armes et de toutes nations en route pour le Rhin ou pour les permissions familiales.