Une homélie en 1919
Après l’armistice, pour la fête de Pâques, le 4 avril 1919, il revint sur l’expérience de la guerre et sur la récente victoire alliée, relue à la lumière de la résurrection…!
Il est intéressant aujourd’hui, de relire cette homélie et d’y trouver des accents et des figures héroïques dont nous ne sommes plus vraiment habitués, très représentatifs des mentalités d’alors.
Toutes les barrières morales ont été renversées, les crimes de tous genres se sont multipliés : plus rien devant nos sauvages ennemis, ne reste debout, ni le respect de Dieu dont ils démolissaient à plaisir les sanctuaires, ni le respect des hommes, des vieillards, des femmes et des enfants qu’ils assassinent pour le plaisir de tuer.
Et nous avons vécu d’épouvantables heures, des heures de cauchemar, des heures rouges et noires, heures de sang et de mort, heures d’angoisses, de craintes et de deuil.
Tout naturellement, ma pensée se reporte aux jours de la Sainte Semaine de l’an dernier. En une offensive contre laquelle nous n’étions malheureusement pas préparés, les Boches avaient crevé notre front de bataille ; tels les flots de l’océan, leurs régiments innombrables s’avançaient, tuant, volant et saccageant… Ils s’avançaient, ramassant au cours de la progression les quelques rares éléments de résistance que nos chefs déconcertés essayaient de leur opposer.
Ah ! s’il est ici quelque camarade revenu du G2, il doit s’en souvenir. Le G2, belle et brave troupe (très brave, même, puisque troupe bretonne), à cinq contre cent, essayait de les arrêter sur les hauteurs de Roye, au soir du Lundi Saint.
La bataille fait rage aussi le mardi : nous arrivons nous-mêmes pour arrêter, ou du moins retarder, le flux sauvage. Mais hélas ! contre 30 000 hommes, nous étions 2 000 et nous n’avions que quelques cartouches, pas une grenade, pas une mitrailleuse !! En des heures comme celles-là, le courage, l’héroïsme même, ne suffisent pas. Le mercredi saint, attaqués de front, débordés sur les deux flancs, encerclés presque, nous devions à notre tour reculer aussi : Marquivilliers, La Boissière, Montdidier, Fontaine, Courtemanche, Cantigny. Les Boches nous suivent, nous rattrapent, nous devancent même quelquefois… Et la Semaine Sainte s’achève sans que les débris de nos pauvres bataillons aient pu rétablir la situation désespérée. C’est la porte de Paris ouverte, c’est le coeur de la France exposé !
Ah ! oui, ce fut vraiment « la Grande Semaine », la Semaine Sainte, la Semaine de la Passion Française ! Quelle angoisse en nos âmes ! Quelle souffrance en nos cœurs !
Et les soldats allemand descendaient en France. Mais vive Dieu. La France qui semblait perdue alors, n’était pas morte, nous vu quelques semaines plus tard.
L’Alléluia de la résurrection du Christ, nous l’avons chanté pour la résurrection de la France. Elle aussi, notre patrie bien-aimée a eu de merveilleux rétablissements. Quand ses envahisseurs triomphant s’apprêtaient à donner dans son cœur le coup de lance qui l’achèverait et témoignerait de sa mort, ils l’ont sentie plus forte, plus vivante, plus glorieuse que jamais. « Dieu ne meurt pas » disait un Saint Président de la République. « La France non plus », réponde Jeanne d’Arc.
Et comme les gardiens du Tombeau Sacré, nos ennemis épouvantés par ce miracle ont dû se jeter à terre ; effrayés, ils ont laissé tomber leurs armes ; vaincus, ils implorent notre paix à genoux. C’est la résurrection de la France. Gloire à nos soldats et à nos chefs ! Mais, gloire aussi au Christ Jésus qui aime la France, car c’est à lui en fin de compte que nous devons la victoire ; ne l’oublions jamais, et sachons ne pas nous montrer des ingrats.
« Vivat Christus qui diligit Francos ! » « Gallia resurrexit. Alleluia! »
Désiré Bocquenée, 4 avril 1919
Désiré Bocquenée