Un ouvrier de La Ciotat
Vous êtes ouvrier chaudronnier sur le chantier naval de La Ciotat. En quelle circonstance avez-vous rencontrer l’évêque de Marseille et quel souvenir en avez-vous gardez ?
Je l’ai rencontré à l’occasion de la confirmation de mon aîné. C’était à l’automne 1837. Il était arrivé le matin même à La Ciotat car le curé ne voulait pas qu’il arrive la veille et qu’il couche au presbytère. Il avait peur qu’on fasse le charivari sous ses fenêtres.
Pourquoi faire le charivari comme vous dites ?
Rien que pour l’embêter un peu. Sur le chantier, on n’aime pas beaucoup les curés. On les traite de fainéants, de bons à rien, de pique-assiette.
Bien. Alors, comment s’est passée la confirmation ?
Je n’en sais rien. Je n’y étais pas.
Vous n’êtes pas allé à la confirmation de votre fils.
Non, monsieur. Je ne mets pas les pieds à l’église. La religion, c’est l’affaire des femmes et des gosses. Et puis je ne pouvais perdre une demie journée de travail. Il faut que je ramène des sous à la maison pour faire manger la famille.
Alors où est-ce que vous avez rencontré Monseigneur ?
L’après-midi, aux chantiers.
Il est venu vous voir ?
Oui, monsieur et je vous dis qu’on en est tous resté la bouche ouverte. Il est venu sans crier gare. On nous a dit après qu’il n’était pas resté jusqu’à la fin du banquet officiel avec le maire et les autres bourgeois. Il est arrivé tout simple, en soutane noir. Pas de falbala violet ni tout le saint-frusquin. C’est un collègue qui était à l’église le matin qui s’est mis à nous crier : « Mais c’est l’évêque. Venez voir ! » Un grand bel homme d’au moins 1 m 80, mais pas fier du tout.
Il a commencé à parler avec ceux qui étaient en bas, sur le quai. En provençal qu’il leur parlait. On s’est tous regardé. On s’est poussé du coude. Puis on est descendu vers lui, les uns après les autres. Je crois bien que j’ai été le dernier à venir lui serrer la main.
De quoi vous a-t-il parlé
Il s’est renseigné sur le bateau qu’on était en train de construire, un beau bateau à vapeur. Il a demandé si le patron nous donnait bien notre dimanche de congé, combien on était payé, si on avait de quoi vivre avec ça. Il nous a parlé de nos familles. Le Marius lui a dit que son gosse était malade et même que c’est pour ça qu’il n’avait pas été confirmé le matin. L’évêque lui a dit qu’en repartant, il s’arrêterait chez lui et qu’il confirmerait le gamin à la maison.
Et il l’a fait ?
Bien sûr, il l’avait promis. Lui il n’est pas comme ceux qui font des tas de promesses et qui ne les tiennent jamais. Lui, il fait ce qu’il a dit !
Est-il resté longtemps avec vous ?
Une bonne heure au moins. Quand il est parti, on a tous enlevé nos casquette pour le saluer.
Même vous ?
Oui, monsieur, même moi. Et j’étais pas le dernier à crier : « Vive Monseigneur ! » Si on m’avait qu’un jour j’applaudirais un curé !
Vous savez, ce n’est pas ça qui me fait aller à l’Eglise plus qu’avant. Mais un curé comme ça, ça vous réconcilie avec le Bon Dieu.
Concocté d’après le journal du 8 octobre 1837.