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M. Chrétien, graveur au Palais-Royal

Le palais royal est un beau quartier
Toutes les jeunes filles sont à marier…
Si c’est oui, c’est de l’espérance
Si c’est non c’est de la souffrance.

Qui ne connaît cette chanson enfantine datée des années 1810 ? Le palais royal semble avoir été « le » rendez-vous à la mode de l’époque… Un rendez-vous pas toujours très bien fréquenté, semble-t-il…

Bref ! Lors de son séjour en 1805, le jeune Mazenod se fit faire le portrait par un célèbre graveur.

Monsieur Chrétien, vous êtes graveur de portraits et vous exercez votre métier à Paris, je crois.

C’est exact. Je suis même le meilleur graveur de tout Paris. J’ai gravé le portrait de Sa Sainteté le Pape Pie VII quand il est venu à Paris, en 1804. J’ai gravé le portrait de leurs Altesses Impériales les princesses Caroline et Elisa et je viens de recevoir commande pour graver le portrait de l’Impératrice elle-même.

Où tenez-vous boutique ?

Monsieur, je suis un artiste et je ne tiens pas une boutique, mais un atelier d’art qui se trouve sous les arcades du Palais Royal, au numéro 32.

En quelle circonstance avez vous rencontré le jeune Eugène de Mazenod ?

Vous voulez dire le comte Charles Joseph Eugène de Mazenod. Voyons. C’était l’année qui suivit le sacre impérial, donc en 1805. C’était en automne car les feuilles des arbres du jardin étaient déjà jaunes. L’air était encore doux et monsieur le comte portait un costume d’été : chemise de fine soie blanche, cravate bouffante soigneusement repassée et veste de drap bleu roi. Un bel homme, agréable à regarder et qui devait plaire aux jeunes filles.

Bel homme mais assez désagréable. Vous savez le genre : « Je suis beau, je le sais et j’entends que tout le monde le sache

Et que voulait-il ?

Que je lui grave son portrait, bien sûr. Il m’avait choisi parce que je suis le meilleur graveur de Paris et parce qu’il voulait un très beau portrait pour pouvoir le distribuer autour de lui et spécialement dans la bonne société aixoise. D’après ce qu’il m’a laissé entendre, il était à la recherche d’un beau et riche mariage et il voulait un portrait pour arriver à ses fins.

Il était donc à la recherche d’argent

Oh oui ! Il était à peu près complètement fauché, le jeune comte. Il a discuté le prix pendant plus d’une demi-heure. Vous vous rendez compte : un portrait gravé sur cuivre à l’eau forte, tiré sur papier vélin par le meilleur graveur de Paris, il ne voulait m’en donner que 40 francs. Cela vaut au moins le double. Finalement, nous sommes tombés d’accord sur 54 francs. Regardez, c’est écrit là, sur mon livre : comte de Mazenod – 54 francs.

Je suppose qu’il y a eu une séance de pose. Comment cela s’est-il passé ?

Très mal. C’était un homme impossible. Tantôt il voulait que je lui grave le profil droit. Puis il changeait d’idée et trouvait son profil gauche plus agréable. Puis il se regardait dans une glace, refaisait le nœud de sa cravate, replaçait sa mèche de cheveux. Oui, monsieur, un client impossible.

Et quel a été le résultat ?

Oh, ne m’en parlez pas ! Moi, j’étais content de mon travail. Une vraie œuvre d’art. Je lui ai envoyé le cuivre et les tirages à Aix, rue Papassaudi je crois. Pas assez fortuné pour habiter sur le Cour.

Eh bien, tenez, lisez la lettre qu’il m’ envoyé en guise de remerciement. Il paraît que je lui avait fait le menton en galoche, que j’ai rallongé la distance entre sa bouche et son nez, que j’ai déformé le bas de son visage. Mais ce n’est pas de ma faute à moi s’il a le menton en galoche. Il n’a qu’à s’en prendre à ses parents.

Et vous pensez que c’est à cause de ce portrait qu’il n’a pas pu se marier ?

Oh non, monsieur ! C’est parce qu’il visait trop haut et qu’il cherchait une trop riche héritière. Mon portrait n’y est pour rien.

Vous ne l’avez plus revue depuis ?

Non, jamais et tant mieux. Des clients comme ça …

Concocté d’après la lettre d’Eugène de Mazenod à son père du 26 décembre 1805

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