Tableau d'une couturière penchée sur son ouvrage dans sa cuisine.

Jeanne, blanchisseuse

Tableau d'une couturière penchée sur son ouvrage dans sa cuisine.

Le père d’Eugène de Mazenod possédait une propriété et un domaine à Saint-Laurent du Verdon.

A son retour de Sicile et pour échapper à la conscription en octobre 1803, le jeune Eugène y séjourna quelques temps…

et s’y em…rda ferme !

A partir des deux lettres qu’il écrivit à son père, on a concocté l’interview suivante de Jeanne, la blanchisseuse :

Vous vous appelez Jeanne et vous habitez Saint Laurent du Verdon. Vous connaissiez bien les Mazenod ?

Oh bien sûr. Ma mère était blanchisseuse au château, du temps de Monsieur le président Charles Antoine, le père de Monseigneur et j’ai marié François Jauffret dont le père était métayer au domaine.

Parlez-nous un peu de la famille !

Le père de Monseigneur, celui qu’on appelait le Président, était un bien brave homme que tout le monde aimait bien ici. Il était même trop bon. Il se laissait voler par les métayers. Il faisait semblant de ne rien voir parce qu’on était tous très pauvres ici. Quand la Révolution est venue, nous, à Saint Laurent, on a voulu sauver les biens du château. Mais les enragés de la ville sont venus. Ils ont pris les meubles, la vaisselles et surtout les livres. On a eu beaucoup de peine car il y tenait beaucoup à ses livres, le Président.On aimait moins sa femme qui était un peu prétentieuse et qui surveillait tout. Avec elle, pas moyen de tricher. Elle était très sévère. Mais il faut dire qu’elle était juste.

Et leur fils, le futur évêque ?

Il est venu ici avant que le Bonaparte se fasse empereur, au printemps 1803. Il venait pour se cacher. Il n’était pas en règle avec ses papiers et il voulait pas faire son service militaire. Il cherchait à payer quelqu’un pour le remplacer et ça coûtait moins cher ici que dans la belle ville d’Aix.

tableau du XIX° siècle représentant deux dandies

Comment était-il ?

Quand il est arrivé, tout le contraire de son père. Un prétentieux prêt de ses sous. Toujours à vous surveiller et à nous dire ce qu’il fallait faire alors qu’il ne connaissait rien à la terre. Il comptait le blé, les olives, les raisins. Il était là, le matin au cul des poules, pour surveiller qu’on lui ne volait pas les œufs. Comme on dit chez nous : il voulait peter plus haut qu’il avait le derrière.

Tenez, je me souviens, en été, quand le soleil est bien chaud, il se promenait avec un parasol blanc au dessus de la tête, avec des gants et une culotte de nankin. Devant, on s’inclinait et on disait « Notre maître ». Mais par derrière, on rigolait bien…

Il se plaisait à Saint Laurent ?

Oh pour ça non. Il s’ennuyait ferme. Il regrettait Aix, les bals, les soirées et les belles dames. Alors de temps en temps il organisait une petite fête. Un soir, la récolte des amandes terminée, il a imaginé d’aller avec toute une troupe de filles escalader la maison de la vieille Gondrane.

Vous en étiez ?

Sûr que j’étais pas la dernière. Il a mis une échelle sous la fenêtre de la vieille. Il est monté et il l’a appelée « Ma colombe, ma tourterelle, ma toute belle… » Tu parles de tourterelle, elle était bossue et presque chauve. Nous, on riait tout ce qu’on savait. Il tenait une bouteille et quand la vieille lui a ouvert la fenêtre, elle a vidé la bouteille d’un coup, au goulot. Alors on est toutes montées dans la chambre. On lui a fait une petite danse et on lui a demandé de chanter. Elle était fin saoule. Puis on est parti par l’échelle et on a couru tout le village en chantant et en riant. Quand tout le monde a été réveillé, on est allé se coucher.

Il a quitté Saint Laurent avant la Noël. Ca faisait bien dix bons mois qu’il était avec nous. On l’a bien regretté car à la fin, il avait bien changé. Il nous disait bonjour, il nous parlait de nos familles. Il s’était mis à ressembler à son père le Président.

Quand sa mère nous a appris, quelques années plus tard qu’il allait se faire curé, on a été tout surpris ici. On s’est dit que ça ne durerait pas, que c’était un chagrin d’amour. Mais on s’est bien trompé. Ca a duré.

bastide provençale dans le Verdon sous fond de ciel bleu

quand il a été prêtre, est-il revenu à Saint Laurent ?

Pas souvent. Mais il y a une fois que je me souviens. C’était plusieurs années après la chute du Bonaparte et le retour de notre bon Roi. Il a bien passé deux semaines ici. Mais on ne le voyait que le dimanche, à la messe, le reste du temps il était au château. Il paraît qu’il écrivait quelque chose d’important. Je me souviens qu’il a prêché dans notre église. C’était bien, mais c’était un peu long. Même que notre curé lui a coupé la parole en entonnant : « Credo in unum Deum ». Vous vous rendez compte : faire ça à notre Maître. C’était pas bien poli. Et bien monsieur Eugène m’a rien dit. Il est descendu de chair et il est retourné s’asseoir, lui notre châtelain qui avait fait son séminaire à Paris.

D’autres souvenirs

Oui, encore un autre, c’était sous le Badinguet…

caricature de Daumier représentant Napoléon III assis sur un dromadaire qui a la tête d'une femme... en l'occurrence l'impératrice !

Vous voulez dire l’empereur Napoléon III

Pour moi, Napoléon III, c’est « le Badinguet »… Donc, à cette époque, Mgr de Mazenod était devenu évêque depuis un bon bout de temps déjà. Il est venu, tout simple. Il est venu nous voir, chez nous. Il se souvenait de nos noms. Quand je lui ai parlé de l’affaire de la bouteille de la vieille Gondrane, il a bien ri. Il paraît qu’il a fait un gros don à notre curé pour réparer notre vieille église qui tombait en ruine.
Il était déjà bien vieux. Quand il est parti on savait qu’on ne le reverrait pas. Notre maire n’arrivait pas à l’appeler Monseigneur. Il avait les larmes aux yeux quand il lui a dit : « Adieu, notre maître. »

Allez, arrêtez, vous me faites pleurer avec tous ces souvenirs.

Concocté d’après les lettres d’Eugène à son père
(1er août et 31 octobre 1803)
et les souvenirs du p. Suzanne.

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