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Adolphe Tavernier, avocat

Adolphe Tavernier est né à Aix-en-Provence en 1799, il fit partie de l’association de la jeunesse fondée par Eugène de Mazenod. Par la suite devenu avocat, il garda avec lui une relation d’amitié et de confiance entretenue par une correspondance. Eugène de Mazenod eut par la suite plusieurs fois recours à lui comme avocat. Adolphe Tavernier est décédé en 1882.

En prenant appui sur cette relation de confiance et sur les souvenirs écrits que l’un et l’autre ont gardés, Bernard Dullier a reconstitué l’interview ci-dessous, occasion de revenir sur la Congrégation de la Jeunesse et sur les premières années d’apostolat d’Eugène de Mazenod.

Nous avons illustré cette interview avec les fameuses caricatures de Daumier (1809-1878)

Maître vous avez eu le rare privilège d’avoir rencontré Monseigneur de Mazenod alors qu’il était tout jeune prêtre et de l’avoir accompagné jusque sur son lit de mort. Pourriez-vous nous parler un peu de lui ?

C’est très difficile. J’aurai tant de choses à dire. J’avais quinze ans quand je suis entré à la Congrégation de la Jeunesse que l’abbé de Mazenod avait fondée quelques mois plus tôt et qu’il dirigeait à Aix. J’en suis resté membre jusqu’à ce que je devienne avocat. J’y ai exercé différentes fonctions, plus ou moins importantes, jusqu’à devenir ce qu’on appelait le préfet, c’est à dire une sorte d’adjoint du directeur.

Combien cette Œuvre comptait de jeunes et de quels milieux étaient-ils originaires ?

Quand je suis entré, nous étions une dizaine. Mais très vite le nombre s’est multiplié et nous étions près de 300 quand j’en suis sorti en 1821. Nous appartenions à toutes les classes sociales. Il y avait des jeunes gens de la très haute société comme le fils du président de Laboulie ou le fils du marquis de Foresta, d’autres issus de la bourgeoisie comme moi-même, d’autres encore originaires d’un milieu social très simple comme le jeune Marcou ou encore des fils d’artisans ou même des enfants de prostituées.

Ce brassage social ne posait-il pas de problème ?

Pas entre nous, car, en entrant dans l’œuvre, nous savions que nous rencontrions des jeunes d’autres conditions sociales. Mais cela ne plaisait pas forcément à la bonne société aixoise et l’abbé de Mazenod a eu de nombreux ennuis à ce sujet.

Avec la marquise d’Arlatan par exemple ?

Avec la marquise d’Arlatan mais aussi avec le curé de Saint Jean de Malte ou avec les chanoines. C’est ainsi qu’en 1817, lors de la confirmation de certains d’entre nous, le curé de Saint Jean de Malte voulut nous chasser du chœur de la cathédrale où nous nous étions installés parce qu’il n’y avait plus de place pour nous dans la nef. Ce cher homme s’est même cru autorisé, devant les chanoines, le Vicaire Général et l’évêque, à donner des grands coups de barrette sur la tête de l’abbé de Mazenod.

Comment ce dernier a-t-il réagi ?

Il est resté très calme. Il a regardé fixement le curé puis il nous a ordonné de ne pas bouger et de rester là où nous étions, tout autour de l’autel.

Dans quel lieu vous réunissiez-vous ?

Nous avons beaucoup déménagé. Au début nous étions dans une petite propriété de la famille de Mazenod qu’on appelait l’Enclos. Très vite cette maison fut trop petite et la marquise de Valbelle accepta de prêter un local dans son vaste hôtel du Cours. Mais rapidement, on nous a priés d’aller nous faire pendre ailleurs : nous n’étions pas assez présentables pour la noble marquise. Les Visitandines nous offrirent quelques semaines l’abri de leur couvent, mais le bruit de nos jeux troubla les chères sœurs. C’est alors que monsieur l’abbé acheta un morceau de l’ancien Carmel et que nous avons élu domicile dans l’ancienne chapelle intérieure.

La chapelle qui est le lieu de Fondation des Missionnaires Oblats ?

Exactement. Et nous, les jeunes, nous sommes fiers d’en avoir été les premiers occupants. Nous y avons fait des travaux de nos propres mains et nous avons payé une partie des réparations de nos propres deniers ! La chapelle a même été bénie pour nous par l’abbé Beylot qui était vicaire général en ce temps-là.


Voilà le ministère public qui vous dit des choses très désagréables. Tâchez donc de pleurer au moins d’un oeil; ça fait toujours bien!

Quel genre d’éducateur était l’abbé de Mazenod ?

D’abord, il nous aimait passionnément. Il était comme un second père. Aussi, quand il est tombé gravement malade, nous nous sommes tous succédés jour et nuit pour prier Notre Dame de toutes Grâces, à l’église de la Madeleine, et pour obtenir sa guérison. Ensuite il nous respectait, que nous soyons de famille riche ou nous fassions partie des plus pauvres et les plus délaissés. Ainsi, il appelait chacun de nous « monsieur », même les fils des savetiers. Au fur et à mesure que nous grandissions, il n’hésitait pas à nous confier des responsabilités. Enfin, il savait faire régner une grande atmosphère de joie. Certes les prières étaient nombreuses, parfois un peu longues. Mais il y avait aussi des jeux, des sorties à la campagne, des après-midi autour des marrons que l’on faisait griller. Mais l’abbé de Mazenod était aussi très exigeant et il savait sanctionner les fautes.

Est-ce qu’il gardait un contact personnel avec vous quand vous étiez devenus adultes ?

Oui, avec tous ceux qui le désirait. Si je prends mon exemple, il m’a beaucoup soutenu pendant mes études d’avocat et il a toujours répondu à mes lettres. Il était là quand j’ai plaidé pour la première fois à la Cour d’appel d’Aix. A la fin de ma plaidoirie, il m’a pris dans ses bras en me disant : « Maître Tavernier, je suis fier de vous ! ». Il a béni mon mariage et baptisé mes enfants.

Il n’a pas cherché à vous influencer en vous entraînant vers le sacerdoce ou vers la vie religieuse ?

Certainement pas. Il était bien trop respectueux de la liberté de chacun de nous. Je pense qu’il a été heureux quand certains parmi nous sont entrés dans la Congrégation qu’il avait fondée mais il m’a jamais rien fait pour cela et il était tout autant comblé de nous voir faire un mariage heureux et réussir l’éducation de nos enfants.

Vous avez aussi partagé certaines de ses souffrances ?

L’abbé de Mazenod nous aimait tous et la mort de l’un d’entre nous était toujours pour lui une épreuve très douloureuse. Je me souviens qu’il fut inconsolable lors du décès du jeune Victor Chabot, un enfant d’à peine douze ans.

Mais il a aussi partagé avec moi d’autres peines. Il était droit et honnête et il n’arriverait à comprendre ni le mensonge ni la perfidie. Il m’a demandé d’assurer sa défense, en 1838, quand il a été injustement accusé par un ancien serviteur de l’évêché et j’ai été le témoin de sa profonde souffrance devant la trahison de cet homme en qui il avait mis sa confiance.

Maître, qu’aimeriez dire encore à nos lecteurs ?

L’abbé de Mazenod a guidé mes premiers pas dans la vie, d’abord par son propre exemple. C’était un esprit supérieur, une grande nature qui avait un coup d’œil pénétrant et qui savait développer les qualités de ceux qu’il avait la charge d’éduquer ou de guider. Les colères qui étaient parfois les siennes n’estompaient jamais ses qualités de cœur. Je crois qu’il est au ciel et que, de là-haut, il continue à veiller sur tous ceux qu’il a tant aimés ici-bas.

Concocté d’après le Journal de l’œuvre de la Jeunesse (1814 – 1818)
et le livre de Tavernier : « Souvenirs sur Mgr Charles Eugène de Mazenod.

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