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Mes impressions sahariennes – 2

Par Alfonso Bartolotta

portrait d'Alfonso Bartolotta, en plein désertChers ami(e)s et bienfaiteurs,

Suite à mes toutes premières impressions sahariennes, après un séjour d’un mois à Dakhla, me voici, pour une dizaine de jours, dans le deuxième poste de mission, la communauté de Laâyoune où mes confrères ont la charge de la paroisse dédiée à St François.

Le court séjour à Laâyoune

Laâyoune (El Aaiún, en arabe, c’est-à-dire les sources) est à la fois considérée comme la plus grande et la plus importante ville du Sahara Occidental – située à 540 km de Dakhla et comptant plus de 200.000 habitants – et la capitale revendiquée par la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD). Une ville en pleine expansion et aussi en accélération, les innombrables chantiers qui poussent partout en témoignent par les constructions et les infrastructures de grande envergure à l’architecture moderne. C’est impressionnant de voir le nombre de jardins publics, les vastes espaces verts, les grandes fontaines aux jeux et jets d’eau multiformes, superbement colorées par les éclairages nocturnes, qui sont autant de lieux apaisants pour les retrouvailles, pour faire une promenade, ou tout simplement pour rester assis sur un banc en se laissant bercer par l’air frais du soir. Laâyoune, en définitive, c’est la ville qui permet à deux types de sable de se rencontrer, à savoir, le sable de la longue plage de l’Océan Atlantique et le sable du vaste désert du Sahara.

Le merveilleux désert

La fascination du désert, l’immensité du territoire, et paradoxalement l’aridité du lieu qui est loin d’être une absence de vie, offrent quotidiennement de superbes et fabuleux paysages en mutation permanente. Ceci grâce à la présence des dunes – semblables à des collines – qui sont le résultat de la constante et laborieuse force du vent jusqu’à la création d’innombrables tas et amas de sable parfaitement et impeccablement accumulés.

Il faut savoir que le travail et l’action incessante du vent modifient la configuration et la forme – la largeur, la hauteur et la pente – des dunes, offrant ainsi aux amoureux de la nature la chance inouïe d’admirer de fabuleux tableaux toujours renouvelés et jamais identiques.

C’est le don de la nature qui spontanément s’offre au plaisir des yeux de tout être humain, soit-il autochtone ou visiteur venant d’ailleurs. C’est ainsi que s’ouvre un spectacle merveilleux pour contempler les innombrables dunes qui se succèdent presque en se poursuivant.

La beauté de la nature est la seule à jouer sur scène : l’élégance, l’équilibre, les délicats mouvements ondulatoires et les déplacements du sable, tout en douceur, rythment une harmonieuse danse accompagnée par l’irrégulier souffle sonore du vent du désert.

On a la sensation d’assister à la première vision d’un spectacle, unique en son genre, comme un défilé de lignes et de courbes, à la fois dans l’unicité et la diversité de chaque dune au côté antérieur concave – celles en forme de demi-lune ou transversales, celles en forme de cornes de croissants ou paraboliques, celles alignées ou parfois isolées, perceptibles de loin.

Comment ne pas rester bouche bée devant l’indescriptible beauté de la nature et de ce spectacle époustouflant qui s’offre tout simplement, librement et spontanément aux yeux grands ouverts des humains émerveillés ! C’est une évidence, cette invitation à l’admiration, et je dirai même davantage, à la méditation et à la contemplation tout en cédant la place à la profondeur du silence et – du coup – d’y rester le plus longtemps possible. Il faut y être et le voir pour y croire !

La disponibilité des confrères.

Ce séjour a été possible grâce à notre confrère camerounais, Christophe Remjemo – arrivé ici il y a trois mois – qui a gentiment accepté d’assurer la permanence à Dakhla, me permettant ainsi de découvrir la mission de Laâyoune accompagné par notre confrère aîné, Valère Eko, originaire de la République Démocratique du Congo, œuvrant au Sahara depuis une quinzaine d’années.

Cette deuxième immersion, en suivant les pas de Valère, un véritable guide chevronné, m’a permis à la fois de franchir la porte pour entrer non seulement dans les maisons mais aussi dans le monde du peuple sahraoui. Je me suis vite aperçu qu’il connaissait les familles – et qu’elles le connaissaient aussi – comme s’il était un de la maison.

L’accueil chaleureux des familles

L’accueil si chaleureux, lors des multiples visites, m’a fortement touché. L’hospitalité réservée à l’arrivée d’un étranger est très importante – après avoir laissé mes tongs et ses sandales à l’extérieur – on est invités à franchir, les pieds nus, le salon bien décoré par les tapis recouvrant le sol et par les nombreux coussins aux multiples couleurs sur lesquels chacun doit prendre place.

Plusieurs coutumes et rituels, selon la condition de la famille, marquent la joie de recevoir quelqu’un chez soi : un verre d’eau ou de jus de fruit, de lait ou d’une boisson locale, du pain avec du beurre, de la confiture et même de l’huile, du sucre ou des dattes et parfois des croissants ou d’autres gâteaux typiques du lieu. Il nous est arrivé, dans deux familles, qu’une femme vienne devant nous pour vaporiser du parfum sur nous ou sur nos mains.

Le véritable et traditionnel accueil, je dirais, se déroule autour du rite et de la cérémonie pour la préparation du thé, en attendant de savourer, ou mieux encore de
siroter, le thé brûlant, parfumé et aromatisé, servi dans les petits verres épais.

Le temps de la longue attente permet le dialogue pour faire connaissance, puis l’échange et le partage des nouvelles entre les présents, toutes et tous assis sur des coussins placés sur les tapis au sol. En regardant le méticuleux savoir-faire de la personne désignée à ce traditionnel rituel, chacun des présents est invité à attendre patiemment qu’on lui verse les trois verres de thé à siroter dans une ambiance amicale, familiale et fraternelle.

Une première messe pré-dominicale atypique

La communauté oblate a aussi en charge l’église de El Marsa, une ville principalement portuaire qui compte environ 20.000 habitants, à 26 km de Laâyoune. Chaque samedi soir, on y célèbre la messe anticipée ou messe pré-dominicale ; le samedi 9 septembre, Valère et moi nous y rendons. Pour y aller, il faut tout calculer et tout prévoir, car il faut s’attendre à tout. Dès notre arrivée, bien avant l’heure de la célébration, les deux prêtres que nous sommes devons aérer l’église et le presbytère attenant, puis balayer le sol et dépoussiérer les bancs car le sable très fin du Sahara s’infiltre partout…

L’heure venue, exactement à 20h, nous commençons la célébration de la messe pré-dominicale. L’assemblée est composée par nous, les deux prêtres, et un seul fidèle, le jeune catéchumène ivoirien, Olsen.

C’est vraiment beau d’écouter et aussi d’entendre ensemble le récit de la Bonne Nouvelle – celui du 23ème dimanche du temps ordinaire A – tout d’abord parce qu’il nous console, puis il nous rassure et enfin il nous encourage : « Amen, je vous le dis, si deux d’entre vous sur la terre se mettent d’accord pour demander quoi que ce soit, ils l’obtiendront de mon Père qui est aux cieux. En effet, quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d’eux. » (Mt 18, 15-20).

Mes questionnements…

Face à une telle situation, certains pourraient se demander : pourquoi parcourir 52 km, aller-retour en voiture, pour un seul fidèle, en plus catéchumène donc pas encore baptisé ? Pourquoi le déplacement de deux prêtres pour un seul fidèle quand ailleurs il y a des assemblées qui patiemment attendent qu’un prêtre vienne leur célébrer la messe pré-dominicale, au moins de temps en temps ? À quoi bon tout cela ? Au juste cela sert-il à quelque chose ? Etc.

Il ne faut pas oublier qu’ici nous sommes dans une Préfecture Apostolique, l’étape qui précède l’éventuelle création d’un nouveau diocèse. L’Église se veut donc être simplement une présence là où d’autres humains n’ont encore eu ni la possibilité d’entendre la Bonne Nouvelle qui s’adresse à tous ni de connaître la portée de son message si riche et universel.

Je pense, ou mieux, je crois qu’il fallait bien de se déplacer, même à deux, et parcourir 52 km pour aller chercher, retrouver, prendre soin, s’intéresser à un seul et unique fidèle éloigné et isolé – bien sûr catéchumène – mais désireux de découvrir la Bonne Nouvelle et de s’y familiariser pour pouvoir accéder un jour au baptême, intégrant ainsi la communauté chrétienne.

Comment ne pas penser à la parabole de la brebis perdue ? « En ce temps-là, s’adressant aux pharisiens et aux scribes, Jésus disait cette parabole : Si l’un de vous a cent brebis et qu’il en perd une, n’abandonne-t-il pas les 99 autres dans le désert pou aller chercher celle qui est perdue, jusqu’à ce qu’il la retrouve ?

Quand il l’a retrouvée, il la prend sur ses épaules, tout joyeux, et, de retour chez lui, il rassemble ses amis et ses voisins pour leur dire : “ Réjouissez-vous avec moi, car j’ai retrouvé ma brebis, celle qui était perdue ! ” Je vous le dis : C’est ainsi qu’il y aura de la joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit, plus que pour 99 justes qui n’ont pas besoin de conversion. » (Lc 15, 3-7).

Comment ne pas se laisser interpeller par la délicatesse et l’amour du berger envers celui ou celle qui est loin mais qui désire avancer, grandir et mûrir dans l’intelligence de la foi ?

Une seconde messe pré-dominicale encore plus atypique

l'Eglise de faceLe samedi soir suivant – le 16 septembre, 24ème dimanche du temps ordinaire A – nous parcourons la même route vers El Marsa ; idem, même ménage à faire mais cette fois-ci nous avons été un peu plus rapides car nous étions trois prêtres, grâce à la présence du Préfet Apostolique de l’Église Catholique au Sahara Occidental, notre cher confrère Mgr Mario Léon, originaire d’Espagne, missionnaire depuis presque 20 ans sur ce territoire. Déplacement de trois prêtres pour rendre visite et prier avec le seul fidèle – dans les deux sens du terme – Olsen, le catéchumène ivoirien. Messe quasiment solennelle ! Le chant d’entrée « Le Christ est vivant ! » dont deux strophes résonnent autrement dans nos esprits, compte tenu du cadre, de l’assemblée et du contexte religieux du Pays qui nous accueille.

Tout d’abord, « Le Christ est vivant ! Alléluia ! Il est parmi nous ! Alléluia ! Béni soit son nom dans tout l´univers ! Alléluia ! Alléluia ! » Et puis « Le Christ est vivant !
Alléluia ! Allons proclamer, Alléluia ! La Bonne nouvelle à toute nation, Alléluia ! Alléluia ! »

Eh oui, il s’agit de quatre personnes, justement, de quatre pays différents, expression de l’Universalité de l’Église, et sûrement en communion avec d’autres milliers de fidèles – compte tenu des décalages horaires dans le monde – réunis pour écouter la même Bonne Nouvelle de Vérité et pour se nourrir du même Pain de Vie. Une prière qui devient occasion de proximité et de solidarité avec les plusieurs milliers de sinistrés et de victimes, suite aux deux récentes calamités, le violent séisme au Maroc et les inondations dévastatrices en Libye.

La force de la prière véritable, personnelle et communautaire, permet d’élargir les horizons de notre foi et de notre esprit aux dimensions du monde.

Le retour à Dakhla et l’au revoir au Sahara.

Le 29 septembre, veille de mon départ, avec mon confrère et compagnon de noviciat Silvio Bertolini, nous célébrons, jour pour jour, nos 37 ans d’engagement religieux chez les missionnaires oblats de Marie Immaculée. Tous les deux honorés de la présence fraternelle de notre confrère aîné Valère, de notre associée laïque Clarisse et de deux autres femmes.

À l’aube, mes deux chers confrères m’accompagnent à l’aéroport pour commencer, patiemment, le périple du triple vol au départ de Dakhla vers Casablanca-Rome-Catane !

Alfonso assis sur le sable contemple le désert Heureux de ce magnifique séjour de découverte et de service, je m’envole de ce Pays aux trois valeurs – ou dimensions – essentielles : « Allah, le Roi et la Patrie. »
En partant, je garde à l’esprit l’expression d’un marocain musulman et restaurateur de profession, reçue comme un souhait voire comme un conseil: « Il faut commencer à aimer le Sahara avec les yeux puis l`aimer en le faisant entrer dans le cœur et enfin y rester jusqu’à la mort. »

Ce ne sont que mes impressions sahariennes et, comme d’habitude, je préfère les partager. Voilà, c’est tout !

Fraternellement,

Alfonso Bartolotta omi
Sicile, le 10 octobre 2023
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