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Impressions sahariennes

Par Alfonso Bartolotta

portrait d'Alfonso Bartolotta, en plein désertChers ami(e)s et bienfaiteurs,

Avant de partager mes toutes premières impressions sahariennes, il me semble nécessaire d’expliquer la raison de mon arrivée dans ce coin du monde. À vrai dire, ma proposition et demande explicite faite à Vincent Gruber, notre Supérieur Provincial de France, et à son Conseil, était celle de prendre une année sabbatique, après trois décennies de vie sacerdotale et missionnaire.

Oui, 30 ans déjà… ! Le temps file si vite et pourtant je me considère tout à fait chanceux d’avoir vécu, non-stop, ces 30 années dans 3 pays : ma toute première année, dans mon pays natal, c’est-à-dire en Italie, et précisément à Rome. Puis 9 ans au Sénégal dont un an à Djilas, 5 à Nguéniène et 3 à Temento. Le plus long séjour s’est déroulé en France, au total 20 ans dont 3 à Lourdes, 6 à Lyon, 5 à Paris et 6 à Nice.

Le temps est arrivé, du moins je le pense, de faire une halte, non pas tant pour me reposer mais plutôt pour relire le parcours déjà fait, tout en découvrant ailleurs d’autres réalités : les urgences, les besoins, les défis et les appels missionnaires d’aujourd’hui. Parmi les multiples choix, mon attirance va vers Madagascar, où j’ai déjà fait deux séjours avec les jeunes, un mois en 2010 et puis un second en 2012.

Mais quelle idée d’aller au Sahara… !

Silvio tout sourire à la caméra
Silvio Bertolini

Vous me direz alors : « Mais quel est le lien avec ce voyage au Sahara ? » C’est une question pertinente, justement… ! À mon avis, il n’y a aucun lien, jusqu’à ce que je reçoive un coup de fil de mon confrère, et compagnon de noviciat – la cuvée oblate année 1986 – Silvio Bertolini qui, depuis presque 2 ans, est résidant et en mission au Sahara. Dès qu’il a entendu parler de mon désir d’une année sabbatique, aussitôt il s’est précipité pour m’inviter à vivre cette année au sein de la communauté oblate au Sahara.

Ma réponse, un peu sèche, est immédiate : « Non, cher confrère, c’est trop tard, je la vivrai à Madagascar ! » Il riposte poliment, me manifestant sa joie : « Je t’invite au moins à faire un petit crochet chez nous au Sahara, avant ton départ à Madagascar ! » Son raisonnement est convainquant, d’autant plus que sa communauté est en train de chercher un remplaçant pour une courte période. Il poursuit sa pensée, en ajoutant : « En plus, ça fait longtemps que nous ne nous voyons pas, depuis le temps de notre séjour au Sénégal ; tu pourrais découvrir un autre pays si diffèrent de celui que nous avons déjà desservi. Ah, si tu peux y rester deux mois, alors on pourrait célébrer ensemble nos 37 ans d’engagement missionnaire, prononcé le 29 septembre de la lointaine cuvée oblate, celle de l’année 1986 ! »

Ce départ, je pense, fait partie des imprévus de la vie. Certains pensent que tout est arrivé par hasard, d’autres affirment que le hasard n’existe pas… Va savoir ! Je me dis, tout simplement, que c’est providentiel ! Voilà, c’est tout !

Et pour y voir quoi… !

Le 10 août, après un triple vol, au départ de Catane, Rome-Casablanca-Dakhla, me voici enfin au Sahara ! Il s’agit, exactement, du Sahara Occidental, un vaste territoire d’environ 266 000 km², entouré par trois pays limitrophes – le Maroc, l’Algérie et la Mauritanie – alors qu’à l’ouest la longue côte regarde paisiblement l’immensité de l’Océan Atlantique. La grandeur et la beauté de ce territoire, depuis plusieurs décennies, est à la fois – hélas encore aujourd’hui – contesté et disputé voire même revendiqué par les pays frontaliers à tel point qu’il est considéré non autonome selon l’ONU.

Quant à moi, bien sûr, je me trouve dans la mission confiée aux oblats depuis leur arrivée en 1954. Mon séjour commence dans la ville de Dakhla, autrefois connue sous le nom de Villa Cisneros, en hommage à Francisco Jiménez de Cisneros. La ville de Dakhla, géographiquement parlant, me fait penser à l’image d’une longue et étroite langue formant ainsi une péninsule d’environ 40 km parallèle à la côte atlantique. La ville qui compte une population d’un peu plus de 100.000 habitants figure comme le chef-lieu de la région d’Oued Ed-Dahab et son aéroport dessert régulièrement l’aéroport international Mohammed-V de Casablanca.

Et pour y faire quoi… !

Eh bien ! On peut commencer par la solennité de l’Assomption qui cette année tombe en semaine ; pour avoir une assemblée plus nombreuse, la célébration a été anticipée, – avec la permission du Préfet Apostolique, notre confrère espagnol Mgr Mario Léon – au dimanche 13 août qui a rassemblé heureusement environ 70 personnes pour la plupart jeunes, jeunes adultes et familles avec leurs enfants. Notre confrère sénégalais, Stanislas Diouf, responsable de l’église dédiée à Notre-Dame du Mont Carmel, en présidant l’eucharistie a saisi l’occasion pour me souhaiter la bienvenue, me laissant aussi la
parole pour que je puisse me présenter à la communauté rassemblée. Mon arrivée et ma permanence lui permettront ainsi de pouvoir aller un peu en congé au Sénégal.

Le mardi 15 août, jour J de la solennité de l’Assomption, lors de la célébration nous étions à peine 6 personnes et en plus de 5 nationalités différentes, à savoir : Côte d’Ivoire, Italie, et trois religieuses missionnaires de la Charité – d´Espagne, du Rwanda et de Madagascar – plutôt connues comme les sœurs de Mère Teresa de Calcutta dont elle-même est la fondatrice.

Le véritable contexte hebdomadaire de nos célébrations ordinaires à 19h c’est bien une tout autre histoire ! En fait, nous sommes régulièrement trois personnes : deux oblats italiens, dont un frère et un prêtre, et Clarisse, d’origine ivoirienne, la toute première associée laïque de la mission du Sahara, depuis son engagement le 20 décembre 2022.

Parfois nous sommes au nombre de quatre, grâce à la présence de Rose, la grande sœur de Clarisse. Il nous arrive rarement d’être seulement deux, le frère Silvio et moi-même.

Être Église autrement…

petite statue de Marie et Jésus dans un style marocainAilleurs, une telle situation peut paraître paradoxale mais ici c’est bien la réalité de la vie ecclésiale, celle d’une toute petite communauté chrétienne réunie, avant la tombée du jour, pour se nourrir de la Parole et du Pain de Vie. Dans le langage ecclésial souvent il nous arrive d’entendre ou de lire l’expression « Église domestique », ici j’ai plutôt la sensation de vivre dans une « Église familiale », souvent composée par deux confrères, faisant partie de la même famille religieuse et deux sœurs issues d’un même foyer familial.

Je crois qu’il ne faut jamais oublier qu’une soi-disant « petite Église » est toujours partie intégrante et l’expression de la même et unique universalité de l’Église et de son être Catholique, comme l’indique bien l’étymologie du terme grec. Dans un tel contexte, je pense mieux comprendre la profondeur et la véracité de cette belle est surtout Bonne Nouvelle si hautement rassurante : « Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d’eux. » (Mt 18, 20).

La richesse de nos différences

Faire ou mieux vivre l’expérience de la catholicité de l’Église, à la fois universelle et missionnaire, au fil des jours et là où l’on est. La richesse de nos différences et la force de la foi nous lie les uns aux autres, devenant ainsi un véritable témoignage, non seulement visible et lisible mais aussi concret et tangible. Une expression ou plutôt une présence d´Église en devenir bien que minoritaire dans un vaste territoire totalement – ou presque – de religion et confession musulmane (99,97% face aux 0,03% des catholiques et chrétiens). Je suis convaincu – au regard des autres religions ou croyances, et encore plus, dans le monde d’aujourd’hui – qu’une Église minoritaire ne signifie nullement que sa présence soit insignifiante voire inutile ou non nécessaire pour le bien des Pays et des peuples vers lesquels elle est envoyée pour témoigner de l’amour pour tout être humain, et œuvrer pour le dialogue et le respect entre tous nos frères et sœurs en humanité. « À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres. » (Jn 13, 35).

Le courage et la force de la diaspora

quelques amis de la communauté omi autour de Chicho, le supérieur général, en visite au Sahara occidental en décembre 2022
quelques amis de la communauté omi autour de Chicho, le supérieur général, en visite au Sahara occidental en décembre 2022

C’est bien ce minuscule groupe des catholiques de la diaspora qui forme l’Église du Sahara. Oui, exactement, l’Église de la diaspora ; ce terme de la langue grecque, signifiant la dispersion d’un peuple ou d’une ethnie, méprisé ou rejeté par un autre peuple, et dans l’obligation de s’exiler à travers le monde pour pouvoir sauvegarder la richesse de leur identité propre et la fierté d’appartenance à une culture : coutumes,traditions, langues, valeurs, religion ou croyance, etc.

Des hommes et des femmes, pour la plupart de jeunes adultes, qui pour différentes raisons et choix de vie – à la fois si difficile et complexe, à eux de l’expliquer et à nous de le comprendre – ont dû quitter leurs pays et familles, se mettant souvent en danger et risquant même leurs vies, pour chercher un avenir meilleur, un travail qui les épanouissent, et enfin réaliser leur rêve : celui de gagner de l’argent et de pouvoir envoyer leurs économies chez eux, à leurs proches.

Certains de ces hommes et femmes animés de bonne volonté, vivaient déjà leur foi chrétienne dans leur pays d’origine : Côté d’Ivoire, Sénégal, Cameroun, Togo, Centrafrique, Burkina Faso, Guinée-Bissau et Guinée Conakry. Ce sont eux et elles – y compris d’autres jeunes étudiant(e)s et hommes d’affaires – qui autour des missionnaires constituent, forment et sont l’Église d’aujourd’hui au Sahara. Il s’agit cependant, canoniquement parlant, d’une Préfecture ou Vicariat Apostolique, puisque cette Église n’est pas encore constituée en diocèse.

« L’Église ne fait pas de prosélytisme. Elle se développe plutôt par attraction : comme le Christ attire chacun à lui par la force de son amour. » (Benoît XVI, homélie, Sanctuaire « La Aparecida », 13/05/2007).

Fraternellement,

Alfonso Bartolotta omi
Dakhla, Sahara, le 30 août 2023

Pour en savoir davantage sur la présence oblate au Sahara Occidental.