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Le retour de mission des 72 (Lc 10)

tableau tiré de la série 'Jésus Mafa' représentant Jésus qui envoie ses disciples deux par deux

Le chapitre 10 de Luc présente un curieux épisode.

Jésus envoie 72 disciples « deux par deux, dans toutes les villes et tous les villages où lui-même devait se rendre ».

Faisons un peu de mathématiques : 72 /2 = 36… la mission est universelle !

Or, après avoir donné une série de recommandations, on s’attend à ce que le texte nous relate cet envoi. Qu’ont fait les disciples ? Si nous le savions, nous pourrions copier… Or, le texte opère un surprenant raccourci : « Les disciples revinrent » !

Les 72 revinrent dans la joie, disant: « Seigneur, même les démons nous étaient soumis en ton nom »

On apprend plusieurs choses très intéressantes, dans cette petite phrase, pour qui veut nourrir une spiritualité missionnaire :

petite main avec le doigt pointé vers le texte qui suitLes disciples reviennent « dans la joie ». Le monde n’épuise pas les missionnaires. Il les met parfois à mort mais c’est autre chose. On parlera alors du « don du martyre ». En attendant, le monde rend les missionnaires joyeux. Quand la mission nous épuise, c’est qu’il y a un problème de posture. Nous nous tenons sur nos propres forces au lieu de nous appuyer sur l’élan missionnaire qui vient du Christ !

A leur retour, les 72 ne racontent pas ce qu’ils ont fait mais ce qu’ils ont vu. L’activité missionnaire ne relève pas du « faire » mais du « voir ». C’est une question de contemplation !

« Le monde n’épuise pas les missionnaires.
Le monde rend les missionnaires joyeux ! »

De toutes façons, nous savons bien ce qu’ils on fait : ils ont imité leur maître Jésus. « Les sourds entendent, les aveugles voient, les lépreux sont purifiés, les boiteux marchent, les morts ressuscitent et la Bonne nouvelle est annoncée aux pauvres » a-t-il fait dire aux envoyés de Jean-Baptiste. Tel est son programme et il y a fort à parier que ses disciples ont fait de même.

J’aime à les imaginer de retour de mission, réunis autour de Jésus et se disant, tout émerveillés : « ça marche ! » Pierre qui déclare : « J’ai raconté une parabole. Je ne me souvenais plus des détails alors j’ai inventé un peu. Mais les gens ont compris. Formidable ! » Et Jean prend alors la parole pour dire : « Eh bien moi, j’ai guéri un lépreux. J’avais un peur de la contagion en le touchant mais je l’ai fait et ça a marché ! » Bref, ils seraient légitimement fondés à se raconter leurs « exploits ». Eh bien non ! Ils ne racontent pas ce qu’ils ont fait, mais ce qu’ils ont vu !

Leur regard est situé : « Seigneur, même les démons nous étaient soumis en ton nom ». Cette expression peut nous surprendre, nous qui ne sommes plus de cette culture antique-là. Néanmoins, elle nous révèle que le regard des disciples est post-pascal. Il est situé après Pâques : Le Christ est ressuscité des morts. Le mal a été mis à mal, la mort a été mise à mort et c’est de cela dont les 72 sont témoins. C’est donc cela qu’ils rapportent et qu’ils déposent au pied de Jésus lorqu’ils sont réunis autour de lui (une image de l’eucharistie)!

Réunis autour de Jésus, les disciples relisent leur aventure missionnaire à l’aune de la victoire de la vie sur la mort. Cela nous apprend deux choses :

La mission est résolument située sous l’horizon de la contemplation. Est missionnaire celui qui se fait contemplatif.

Ce récit prend la dynamique missionnaire à contre-pied. D’ordinaire, nous pensons le témoignage depuis « nous » vers « eux ». Fébrilité prosélyte aidant, on y ajoute volontiers une connotation injonctive : « il faut que je sois missionnaire » ! En remettant le verbe « témoigner » à sa juste voie, à savoir la voie passive, le texte replace les missionnaires dans une posture ajustée : à leur retour, ils sont témoins, témoins passifs de ce qu’ils ont vu lorsqu’ils ont parcouru le monde. Encore une fois, l’accent est moins mis sur ce qu’ils ont fait que sur ce qu’ils ont vu.

Dieu nous aime tels que sa grâce nous fera !

A n’en pas douter, on peut penser qu’ils ont consciencieusement fait leur « métier » de « missionnaire ». Mais ce récit nous dit que c’est secondaire ! Ce qui importe, ce sont les signes des temps qu’ils ont contemplés et dont ils se font les témoins lorsqu’ils se retrouvent, en Église, autour du Ressuscité ! Belle pédagogie sur la manière de vivre l’eucharistie selon une logique, ou plus exactement une spiritualité, missionnaire !

Quelques siècles plus tard, un Concile réuni en Arles le dira ainsi : « Dieu nous aime tels que sa grâce nous fera ».

Et nous ? Prenons-nous l’habitude de regarder le monde tel que déjà transfiguré par la résurrection du Christ ?

Bertrand Evelin, omi