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Un homme, ça s'empêche. Sinon...

Doit-on qualifier les bourreaux tels que Wilhem Korf de « monstres » ?

La tentation est forte. Elle serait néanmoins contre-productive !

Cela supposerait que leurs crimes soient le fait d’hommes anormaux, et donc repérables et isolables.

Or, de nombreuses études montrent le contraire ! Dans certaines situations, des hommes ordinaires peuvent commettre des atrocités.

Ce Korf qui buvait des bières au café du village voisin en se vantant des crimes qu’il venait de commettre fait hélas partie de la communauté humaine !

Qu’on nous revête d’un uniforme, qu’on nous endoctrine dans une croyance délétère, bref, qu’on nous supprime les moyens de penser avec discernement et nous voilà potentiellement tueurs de femmes et d’enfants.

Le père d’Albert Camus avait été soldat au Maroc. Devant les atrocités commises sur l’ennemi et qu’un compagnon tentait de justifier, il avait dit : « Non ! Un homme, ça s’empêche. Voilà ce qu’est un homme ». Albert Camus en avait fait sa boussole morale et philosophique : Un homme, ça s’empêche !.
Une telle attitude exige que l’on cultive collectivement la liberté de penser.

Cela passe par l’éducation, la connaissance des faits historiques, la lutte contre les complotismes et contre la « peste émotionnelle » qui nous mène, selon le psychanalyste W. Reich, à toute sorte de servitudes.

Puisse cette exposition s’inscrire dans cette démarche. L’actualité nous y appelle…

L’ethnologue et son bourreau

1971 : l’ethnologue français François Bizot est au Cambodge depuis bientôt 6 ans, employé à la conservation du site d’Angkor, lorsqu’il tombe dans une embuscade tendue par les Khmers rouges. Considéré comme agent de la CIA, il est arrêté, ligoté et emmené dans un camp de rééducation. Là, il assiste à la rotation des prisonniers qui arrivent, sont emmenés à l’écart, puis exécutés à coup de gourdin…

Le maître du camp est un jeune mathématicien, Douch. Malgré les coups, la boue, la soumission absolue, une sorte d’empathie et de dialogue se nouent entre les deux hommes. Ainsi, le chef du camp finit par comprendre que l’ethnologue français n’est pas agent de la CIA. Il va même jusqu’à prendre des risques énormes pour convaincre les Khmers rouges de son innocence. L’ethnologue finit par être libéré.

Au Cambodge, le « libérateur » de François Bizot est devenu devenu directeur du Tuol Sleng, la prison centrale du régime : une usine de torture et de mort -aujourd’hui transformée en musée – où, après avoir extorqué des aveux délirants dans un fleuve de sang et signé de sa main 40 000 ordres d’exécution, Douch est responsable de la mort de milliers de personnes.

Arrêté en 1979 après la chute du régime de Phnom Penh, Douch est mis en procès pour crime contre l’humanité. En 1988, revenu au Cambodge pour tenter de rencontrer ce tueur à qui il doit la vie et dont il parle, en fin de compte, comme de son « malheureux ami », François Bizot a accepté de témoigner à son au procès pour crimes contre l’humanité. Pas pour le défendre bien sûr, mais pour aider à comprendre comment un homme peut basculer dans la barbarie. Ainsi expose-t-il dans une déposition bouleversante, la tragique interrogation qui est au centre de sa vie :

Comment reconnaître les crimes des bourreaux dans toute leur dimension sans mettre en cause l’homme lui-même ? Comment faire face à Douch sans nous regarder dans le miroir ?

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