Les multiples facettes de la mémoire
par Pascal Marotte
Le travail de mémoire au fil du temps
Dans la France libérée, pour les résistants, du général De Gaulle aux communistes, l’idée était de construire une mémoire commune qui devait rassembler les Français et leur redonner honneur et dignité.
A La Brosse-Montceaux et dans le sud 77, l’enjeu a été de ne pas oublier, d’inscrire les évènements dans un devoir de mémoire. Ne pas oublier la Résistance, les crimes commis par les nazis et les collaborateurs. Ne pas oublier la Libération, les sacrifices et les valeurs défendues par les résistants. Dès 1945, des hommages sont rendus à ceux qui ont résisté au péril de leur vie et chaque année une commémoration est organisée. D’hier à aujourd’hui, l’enjeu est donc citoyen et concerne les jeunes générations et s’accompagne d’un travail pédagogique en relation avec les associations mémorielles.
De 1945 à 197O
la mémoire officielle construit le mythe d’une France avant tout résistante. Avec la Libération et une fois passé le temps de l’épuration il faut rassembler les Français, oublier le régime de Vichy, la défaite de 1940, la collaboration et la division des Français. De Gaulle estime que « Vichy est nul et non avenu ». Il considère qu’il représentait la France et la République, qu’il l’incarnait.
Les mémoires dominantes, celle de la France libre du général De Gaulle et celle du parti communiste français (PCF) qui affirme être le parti des 75000 fusillés construisent le mythe d’une France unanimement résistante, c’est le RESISTANCIALISME. Des lieux de mémoire maillent le territoire français, du Mont Valérien au plateau des Glières. Des noms de rue et de bâtiments publics sont donnés en hommage aux résistants disparus…
Cependant la mémoire officielle, actuellement on parle de politique mémorielle, reste sélective.
Les mémoires qui dérangent, celles des déportés raciaux, des juifs et des tziganes, souvent arrêtés par la police française, sont occultées. Le film « Nuit et Brouillard » est censuré en 1956, le gendarme français du camp de Pithiviers doit y être effacé. C’est une politique de déni du régime de Vichy et de la collaboration.
Des requis du STO aux « malgré-nous » alsaciens, l’unité mémorielle est difficile à construire…
L’entrée des cendres de Jean Moulin au Panthéon et le discours d’André Malraux du 19 décembre 1964 marquent l’apogée de cette mémoire exclusive et héroïque de la Résistance.
DE 1970 à aujourd’hui
Le réveil des mémoires a conduit au débat, parfois au conflit puis au devoir de mémoire et au travail des mémoires pour les Historiens notamment. Actuellement cette mémoire de la seconde guerre mondiale semble apaisée.
Des films comme « Le chagrin et la pitié » en 1971 et « Lacombe Lucien » en 1974, le travail de l’historien américain Robert Paxton sur « La France de Vichy » en 1973 remettent en cause le discours officiel et provoquent un débat dans la société française.
L’apparition du négationnisme à la fin des années 70 renforce la mobilisation des survivants de la Shoah et de leurs enfants. Le procès Barbie en 1987, les affaires Touvier et Bousquet, le procès Papon en 1997, recentrent les mémoires de la guerre vers les victimes juives et les responsabilités de l’État français reconnus par le président J Chirac en 1995.
Des voix discordantes contribuent à affecter le statut de la Résistance qui n’est pas toujours unie. Les mémoires d’Henri Frenay et ses critiques de Jean Moulin par exemple mais aussi en 1994, la publication d’« une jeunesse française », celle du président F Mitterrand, certes ancien résistant mais proche de l’idéologie pétainiste jusqu’en juin 1942. En 1997, la controverse à propos de l’action héroïque de Lucie Aubrac en est un autre exemple.
Au XXIème siècle, l’action législative, de l’Etat et le travail des Historiens qui disposent d’un meilleur accès aux archives permettent d’aller vers une mémoire apaisée où la Résistance reste une référence.
Nicolas Sarkozy entre 2007 et 2012, en tant que Président de la République, se rend en pèlerinage au plateau des Glières en Haute-Savoie ; il fait lire la lettre de Guy Môquet, jeune résistant communiste, fusillé en octobre 1941 comme otage par les nazis dans tous les Lycées.
Depuis les années 2010
Les derniers résistants et déportés disparaissent, les derniers témoins de cette guerre également et le travail pédagogique et commémoratif s’intensifient.
Le 27 mai 2015, un hommage est rendu par le Président F Hollande à 4 résistants au Panthéon, deux femmes dont le rôle est de plus en plus reconnu, Geneviève Anthonioz De Gaulle et Germaine Tillon et deux hommes, Pierre Brossolette et Jean Zay.
Enfin toujours au Panthéon, en rendant un hommage national à Simone Veil le 1er juillet 2018 et aux résistants de la MOI FTP du groupe Manouchian le 21 février 2024, le président Macron témoigne, au nom de la France, de l’importance de la Résistance dans la mémoire nationale.
Pascal Marotte