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Le procès Korf

Korf fut arrêté en Allemagne dans la zone britannique en 1949. Suivirent plusieurs années de procédures durant lesquelles il tenta d’échapper à l’extradition et à son jugement en France.

Le procès ne commença donc qu’en décembre 1953, il dura 10 jours.

photo de journal avec Le P. Tassel de profil au premier plan et, dans le fond, Kord, debout
Le P. Tassel et W. Korf, durant le procès

Dès le début, Korf nia ou minimisa les faits, il dit n’être qu’un exécutant et chargea son supérieur de l’époque, le colonel Otto Von Karmainsky, en fuite.

Poursuivi pour plus d’une cinquantaine de crimes dont le massacre des Oblats, il reconnut avoir exécuté les cinq religieux, mais affirma malgré les témoignages avoir voulu limiter le massacre.

Au terme de plusieurs journées éprouvantes, la défense plaida que « Korf n’était qu’un petit rouage dans l’infernale machine qui tournait autour de lui ».

Le 11 décembre 1953, après avoir répondu à 300 questions durant une délibération de quatre heures, les jurés condamnèrent Korf à la peine de mort et Karmainsky par contumace aux travaux forcés à perpétuité. En avril 1955, après notamment l’intercession du père Tassel, la peine de Korf fut commuée en peine de travaux forcés à perpétuité.

Libéré après une dizaine d’années, Korf rejoignit l’Allemagne. Nous n’avons pas retrouvé la date de son décès.

La réception du procès dans les médias

Le procès Korf provoqua un retentissement national dont témoignèrent les très nombreuses « Unes » accompagnées d’articles détaillés dans les pages intérieures de grands journaux nationaux de toutes opinions (Libération, Le Monde, France Soir, Franc Tireur), locaux (La Marseillaise de Seine-et-Marne) et régionaux (La Croix du Nord, L’Est Républicain). De l’ouverture du procès le décembre 1953 au verdict le 11 décembre et à la grâce présidentielle en avri1 1955, le procès fut relaté de manière détaillée.

Le débat autour de la demande de grâce par Henri Tassel

A l’annonce de la condamnation à mort de Wilhelm Korf par le tribunal, le P. Tassel, en cohérence avec ses convictions évangéliques chrétiennes, écrivit au Président de la République pour une demande de grâce.

Celle-ci fut acceptée. Elle provoqua néanmoins un débat, ô combien, compréhensible. Les données du débat peuvent être ainsi résumées :

1- L’argumentaire du P. Tassel

Dans sa lettre au Président de la République, Henri Tassel prend bien soin de dire au nom de qui il parle :

« Je n’ai pas mission pour parler au nom des 5 religieux fusillés par W. Korf le 24 juillet 1944 au matin, ni au nom des 80 religieux arrêtés par lui ce même jour à la Brosse-Montceaux et qui n’ont manqué que de justesse le départ pour les camps de la mort en Allemagne »

« Mais je crois de mon devoir de prêtre, disciple de Celui qui a pardonné à ses pires ennemis, de tenter auprès de Vous, Monsieur le Président… »

Henri Tassel parle en son nom propre, lui, prêtre missionnaire oblat.

Sa démarche n’est pas naïve. Ainsi, prend-il bien soin de préciser :

« Je sais que la justice humaine a des impératifs qui doivent ignorer les délicatesses de la charité chrétienne »

Mais sa démarche prend appui sur ses convictions profondes, qui sont celles de l’Evangile – et qui étaient celles des 5 fusillés : la paix et la réconciliation doivent avoir le dernier mot :

« Peut-être un geste de bonté permettra-t-il à ceux qui ont été nos ennemis de comprendre que la Paix est le bien de tous et ne peut résulter que de la vraie bonne volonté commune. »

Le langage est d’époque. L’enjeu est néanmoins toujours le même, un enjeu que chaque génération est invitée à relever… Ce que firent, par exemple plus proches de nous, Christian de Chergé et ses frères moines à Tibhirine en Algérie, assassinés en 1996.

Entre autres, par exemple, alors qu’ils étaient très lucides sur la situation algérienne d’alors et qu’ils firent le choix de rester, ils ne parlaient jamais des « terroristes » (qui se cachaient dans la montagne) et des « militaires » (qui se tenaient dans la plaine) mais des « frères de la montagne » et des « frères de la plaine ».

Comme l’écrivait les Pères du deuxième Concile d’Arles au IV° siècle : « Dieu nous aime tels que sa grâce nous fera ». Ainsi sommes-nous invités par l’Évangile à regarder et considérer nos contemporains (et nous-mêmes) en espérance, c’est-à-dire déjà transfigurés par l’Amour qui triomphe de la haine ! Ce qui est tout autre chose que d’adopter une posture naïve…!

2- Une réaction

Les archives OMI conservent la lettre de Gaston Alif, officier de la Légion d’honneur, Médaille de la Résistance, Croix de guerre 1914-1918 et Croix de guerre 1939-1945. Adressée au responsable des Oblats, elle est datée du 9 mai 1955. L’argumentaire, opposé à celui du P. Tassel, mérite d’être lu :

« Je suis un de ceux qui avaient organisé au scolasticat de la Brosse-Montceaux il y a trois ans cette manifestation du souvenir au cours de laquelle vous nous avez parlé avec tant d’émotion de Ceux qui ont payé de leur vie leur attachement à la France.

Nous avions tous communié dans la même pensée et nous aurions, je pense, tous affirmé qu’il fallait que Korf soit condamné à mort et exécuté.

Ce n’est pas la haine ni la vengeance qui nous auraient inspirés mais bien la nécessité absolue de montrer aux jeunes que les lois de l’honneur et du devoir ont d’impérieuses rigueurs.

Il m’a été affirmé que les Pères Oblats avaient demandé la grâce de Korf.

Mon Père, je vous en prie, voulez-vous me dire ce que vous en pensez. J’irais volontiers vous voir si cela est possible.

Veuillez croire, Mon Père, à l’expression de mes sentiments respectueux et dévoués.

Gaston Alif

3- Réponse du responsable des Oblats

Les archives conservent le brouillon de la réponse dudit responsable oblat à M. Alif. L’histoire ne dit pas si la lettre fut envoyée.

La lettre déploie plusieurs éléments :

a- Le procès avait pour but de « mettre en lumière la responsabilité de Korf dans l’affaire de la Brosse ». Le combat contre la peine de mort n’est pas un déni de justice. Il se situe à un autre niveau, ce que, quelques décennies plus tard, Robert Badinter rappellera clairement dans son combat pour l’abolition de la peine de mort. Pour l’heure, il convenait bien de mettre en lumière la responsabilité de Korf qui devait assumer, au regard de la justice et de l’histoire, les conséquences de ses actes.

b- La lettre contient une phrase écrite, puis raturée : « J’ai pensé comme vous que la peine capitale était le juste châtiment de ces faits et hélas (on ne l’a pas assez noté au procès) des exécutions arbitraires et massives d’Arbonne ». Il est intéressant de constater que la question de la peine de la mort ne faisait pas l’unanimité au sein de la communauté des missionnaires Oblats.

c- Enfin, dans le contexte encore très conflictuel des années 50 entre communistes et chrétiens, le responsable pose un constat un peu désabusé : « Laissez moi vous dire en toute franchise que la mort des nôtres n’a guère servi la France. Voyez plutôt le sectarisme qu’emploie la lettre de J. Duclos paru dans l’Huma et appelant ses lecteurs au massacre des prêtres, religieux, religieuses, y compris de l’Abbé Pierre (on a parlé de cette lettre à la Chambre). »

d- Faisant néanmoins le choix de l’espérance, la lettre termine en note d’ouverture optimiste : « Si cette mort des nôtres pouvait servir à un rapprochement entre les peuples et à une meilleure compréhension par-dessus et au-delà des haines, elle n’aurait pas été inutile ».

Biographie de Wilhelm Korf

Wilhelm KORF est né en 1904 en Allemagne. Il exerce le métier de professeur de géographie à l’université de Magdebourg. Nazi convaincu, il est incorporé sergent de la Wehrmacht en mai 1940, puis muté, sur recommandation de Himmler, dans la Gestapo.

Après l’armistice du 17 juin, Korf s’installe à Melun avec le grade de « unterscharfuhrer » sous les ordres du gestapiste Willy Tüchel et du colonel de la Wehrmacht Otto Von Karmainsky. Là, il dirige une équipe de sept policiers allemands, aidés de collabos français habitant Fontainebleau : l’abbé Voyer, curé d’Avon, Jean Couel, Simone Haess, « Monsieur Dimanche ».

Il a à son actif l’arrestation, la torture et la déportation de plusieurs dizaines de Résistants français de Seine-et-Marne. Ses « coups d’éclat » : les arrestations du Père Jacques et des trois enfants juifs du collège d’Avon, celles notamment de Rémy Dumoncel, maire de Fontainebleau et Emile Junguenet à Fontainebleau, celles de Jacques Lepesme, Roberte Boucher et Marcel Severin à Montereau.

Il disparaît dans la débâcle allemande de 1944 après le débarquement en Normandie. Recherché, il est finalement arrêté en 1949 par les autorités militaires alliées, en zone britannique.

Transféré en 1953 pour procès au tribunal militaire de Paris, il est jugé, condamné à mort, puis gracié en 1954, il est finalement libéré en 1963.11 meurt libre en Allemagne quelques années plus tard.

Le rituel de torture selon Wilhelm Korf

Willhelm Korf a appris « l’art de la torture » dans les caves du fort de Breendonk à 40 km de Bruxelles sous la direction du Lieutenant Prauss. Son premier et unique poste se situe à Melun où il exerce durant trois ans au 21 rue Delaunoy sous les ordres de Willy Tüchel en compagnie de son adjoint Emil Pahl, ancien maçon. Précis, rigoureux, Korf interrogeait avec une violence froide et méthodique, selon un rituel immuable. Il torturait jusqu’au bout, à fond et à heure fixe. A midi. Ses tortures préférées étaient le supplice de la baignoire, « le tourniquet » et la poulie suspendue. Il se flattait n’avoir jamais connu d’échecs. Devenu « maître de la chair et de l’esprit » des suppliciés, après avoir obtenu « des aveux sincères », il dégustait toujours un demi de bière blonde en fumant une cigarette d’origine anglaise.