image

Joseph Outhay Phongphumi

Un catéchiste expatrié

Outhay (ອຸໄທ) était un Lao du Nord-Est de la Thaïlande. Son village d’origine, Xieng Nhune (ຊໆງຍືນ) près de Nakhon Phanom, est plus connu sous le nom de Kham Keum (ຄຳເກີນ) ; il est situé sur le bord du Mékong, juste en face de l’île de Don Don. Le Père Noël Tenaud en fut le curé de 1934 à 1940 : c’est là que les deux hommes se sont connus.

Outhay est parti de son pays natal dans le but d’être catéchiste au Laos, vraisemblablement à l’invitation du Père Tenaud ; c’était alors la même mission des deux côtés du Mékong. Selon l’idéal des anciens catéchistes professionnels, il était resté célibataire en vue de la mission.

Outhay fut catéchiste senior dans la grande paroisse laotienne de Pongkiu près de Thakhek ; il s’y s’occupait de jeunes encore débutants. Selon le témoignage de Kani, qui était l’un d’entre eux, Outhay avait à sa mort une cinquantaine d’années. C’était un homme de corpulence assez forte.

De mémoire, Mgr Pierre Bach donnait à Outhay « entre vingt et trente ans » à sa mort ; mais il a très peu connu l’intéressé. Quant au témoin laotien, il a pu le vieillir inconsciemment, influencé par la stature morale de son aîné. Il faut sans doute faire la moyenne entre les deux indications. La date de naissance retenue par la postulation sous réserve de vérification, 1918, considère que Outhay avait une bonne vingtaine d’années lorsque le Père Tenaud a quitté Kham Keum, et donc approximativement quarante-trois ans à sa disparition.

Personnalité du catéchiste Outhay

En annonçant la mort du Père Tenaud les responsables de la Mission parlent simplement de « son fidèle catéchiste ». En effet, il n’y avait pas besoin de le nommer, car Outhay partait toujours avec lui, quel que fût le danger. Ils étaient liés d’amitié, inséparables.

Le Père Tenaud fut chargé de la paroisse de Pongkiu de 1944 à 1958. Outhay fut vraisemblablement à ses côtés tout ce temps, ou du moins une bonne partie de ce temps. Il ne fréquentait guère le village, assurant essentiellement son service à l’église.

Lorsque le Père Tenaud partit de là pour Savannakhet, Outhay le suivit. Il continuait à l’accompagner dans toutes ses tournées d’évangélisation.

Selon Mgr Pierre Bach, qui l’a connu dans la dernière année de sa vie, Outhay était quelqu’un de « très ouvert aux autres, autant que cela était possible dans l’ambiance du Laos à cette époque. »

Témoignage de Mgr Pierre Bach sur la mort du catéchiste Outhay

Circonstances de la mort

Quand le catéchiste Outhay et le Père Tenaud ont disparu en avril-mai 1961, j’étais absent du Laos, en Thaïlande pour quelques mois. Ce que je sais de leur mort est donc ce que j’ai entendu des témoins.

Les deux voyageaient dans la même voiture. Celle-ci circulait alors sur la route qui va de Savannakhet vers le Viêt-nam. L’attaque est survenue à la hauteur de Tchépone, c’est-à-dire dans le no man’s land au-delà des positions de l’armée royale laotienne. Cette zone était tenue par la guérilla… Pour cette raison il a été impossible d’y aller pour récupérer les corps.

Outhay aurait été blessé dans l’attaque, mais il est mort de ses blessures peu de temps après.

Sur l’embuscade fatale, il existe deux théories :

  • Elle a été le fait de l’armée royale, qui ne permettait à personne de se rendre en zone ennemie. Cette hypothèse n’est guère vraisemblable, et je n’y crois pas.
  • Elle a été le fait de la guérilla, qui ne voulait pas d’interférences dans la zone qu’elle contrôlait. C’est l’hypothèse qui a été finalement retenue.

Motifs et sens de la mort du catéchiste Outhay

Je suis certain que le catéchiste Outhay n’était mêlé d’aucune façon aux questions militaires ou politiques.

On avait déconseillé au Père Tenaud de se rendre dans cette région, à cause du danger ; mais lui avait tenu à y aller malgré tout, afin d’affermir le courage des chrétiens isolés. Le catéchiste Outhay a accepté, comme toujours, de l’accompagner.

Il n’y a pas de doute qu’Outhay était lui-même conscient du danger. Il savait bien ce qui pouvait arriver. Pour moi, c’est la preuve qu’il acceptait librement de donner sa vie pour sa mission, à cause de sa foi. Il avait choisi de suivre le Christ et de servir le peuple de Dieu, quoi qu’il arrive. Il a été fidèle jusqu’à la mort à cette option.

Je ne peux pas dire quels sont les motifs qui expliquent directement le geste de ceux qui l’ont tué. Je sais toutefois que les gens de la guérilla avaient été formés dans les maquis par les Viêt-minh à la haine de la religion : ils voulaient à tout prix supprimer la foi chrétienne dans le peuple laotien.

Bien sûr, il y avait dans les motivations des adversaires un certain mélange. Ils faisaient l’amalgame entre la haine du capitalisme, des Américains, des étrangers… Ceci dit, l’attitude anti-religieuse est évidente chez eux : il y a à peine quelques années les autorités au pouvoir continuaient à faire signer aux chefs de famille des documents d’abjuration de la religion chrétienne. Certains acceptaient pour avoir la paix ; d’autres refusaient…

La haine de la foi chrétienne a donc bien été, au moins indirectement, la cause de la mort d’Outhay.

La réputation de martyr du catéchiste Outhay

Je considère personnellement le catéchiste Outhay comme un martyr, c’est-à-dire comme un chrétien héroïque qui a offert sa vie courageusement pour sa foi, qui a suivi le Christ jusque dans la mort.

Les chrétiens de Savannakhet, qui l’ont connu ou ont entendu parler de lui, partagent cette même conviction. Les prêtres diocésains de Savannakhet pourront attester cela.

La réputation de martyr d’Outhay a commencé dès le moment de sa mort ; d’ailleurs, dès avant sa mort, il était considéré par ceux qui le connaissaient comme un catéchiste héroïque. Après sa mort, sa renommée n’a fait que monter, et ce, jusqu’à aujourd’hui. Je peux attester cela pour les prêtres et les religieuses ; pour les chrétiens laïcs, n’étant pas en contact avec eux, je ne puis toutefois en répondre.

Je n’ai pas connaissance de chrétiens qui ne partageraient pas cette certitude.

Je n’ai jamais entendu non plus, de la part de non chrétiens, d’affirmations qui s’opposeraient à cette réputation. Les Laotiens en général voient dans ces chrétiens morts pour leur foi des héros à leur manière, des hommes qui n’avaient pas peur : pour eux ce sont des gens qui suivaient leur maître. Comme le prêtre suit son Maître, le Christ, le catéchiste Outhay a suivi le prêtre comme son maître, jusque dans la mort.

Oui, il m’arrive de m’inspirer de l’exemple laissé par le catéchiste Outhay, et je pense que cet exemple inspire d’autres chrétiens.

Oui, il m’arrive de demander l’intercession auprès de Dieu de nos « martyrs » du Laos ; je le fais de façon collective, sans privilégier tel ou tel. Je peux aussi attester qu’à Savannakhet et dans les villages on fait mention d’eux après chaque messe.

* * *

 Le témoignage de Mgr Bach est rejoint par celui de Kani, le catéchiste laotien :

Je suis persuadé que le catéchiste Outhay est vraiment un martyr. Il n’a pas eu peur de partir dans les régions où régnait l’insécurité. Il connaissait certainement le danger de la situation. Mais quant à lui, il faisait confiance au Père : il le suivait comme un disciple suit son maître. Il ne voulait à aucun prix le laisser seul.