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Les années de préparation

Michel COQUELET est né le 18 août 1931 dans le Nord de la France, à Wignehies (59), au sein d’une famille nombreuse et pauvre, profondément chrétienne. Il fut baptisé le 23 août suivant en l’église paroissiale du bourg, qui appartient au diocèse de Cambrai.

Michel Coquelet, jeune scolastique en soutaneLorsque Michel a 4 ans ses parents émigrent vers le Centre de la France ; ils se fixent dans le bourg de Puiseaux (diocèse d’Orléans) à la recherche d’une vie matérielle meilleure. La maman faisait des ménages pour compléter le salaire insuffisant du père. Malgré cette situation, après l’école primaire de Puiseaux, Michel est inscrit en 1942 au Collège catholique Saint-Grégoire de la petite ville de Pithiviers près d’Orléans. Mais ses parents veulent favoriser davantage encore sa vocation sacerdotale et l’envoient en 1945 comme interne au Petit Séminaire de Solesmes (59), dans son diocèse d’origine.

En 1948, muni de son bac et d’attestations louangeuses, Michel Coquelet entre au noviciat des Missionnaires Oblats de Marie Immaculée à La Brosse-Montceaux (Seine-et-Marne, France). En 1944, plusieurs Oblats avaient été tués là par les soldats allemands nazis. Le maître des novices de Michel porte sur lui un jugement nuancé : « Sujet qui n’est que moyen mais qui peut devenir très bon s’il continue à se laisser guider et à s’épanouir davantage. » En fait, Michel se livre peu, desservi par une timidité qu’il ne vaincra jamais totalement. Un de ses compagnons se souvient, longtemps après :« Je l’ai connu à partir du noviciat. Il était à la fois discret, gai, plein d’humour. C’était un frère sérieux, doux et fraternel. Il était sûrement généreux et rempli de foi. Il était très attachant. »

De son service militaire aux confins du Sahara, au Maroc, Michel rapporte une véritable passion pour le soin des malades, où jusqu’à sa mort il donnera – avec discrétion et compétence – toute sa mesure. Son supérieur note en effet : « Chef infirmier, [Michel] se dévoue dans ce domaine avec grande charité, esprit surnaturel et beaucoup de discrétion. Il est aussi bien compétent dans cette partie. » Il ajoute que cela se fait « toujours dans l’obéissance et la régularité : il ne profite jamais de sa charge pour passer à coté du règlement. »

Le 29 juin 1954 il fait son oblation perpétuelle. Ordonné prêtre le 19 février 1956, il écrit au Supérieur général des Oblats :

« Je suis volontaire pour les Missions, et tout spécialement pour la Mission du Laos ! Ce désir, je l’ai depuis le noviciat, où je me souviens d’avoir été fortement impressionné par une conférence du Père Louis Morin , mort depuis, là-bas, du typhus… Il avait un tel accent pour nous parler de sa “pauvre Mission du Laos” que je m’y suis senti prêt à l’y suivre… Cette pensée m’a aidé dans ma vie de travail et de prière au scolasticat… »

Le 25 janvier 1957 il reçoit sa feuille de route…

Missionnaire au Laos

Michel Coquelet au Laos prêt à partir en tournée avec son chevalAutour de Pâques 1957, le voici à pied d’œuvre. Ses quatre années de vie missionnaire au Laos ont laissé peu de traces dans l’histoire. Lui que ses formateurs avaient jugé intellectuellement trop faible pour être apte à l’enseignement, il fut nommé d’abord membre du corps professoral au petit séminaire de Paksane (1957-1958).

Il devait avoir un don spécial pour communiquer avec les enfants, car Mgr Louis-Marie Ling, évêque de Paksé, se félicite aujourd’hui d’avoir eu à treize ans un si bon professeur de français pour la classe de sixième ! En même temps, Michel s’initiait à la langue lao.

Ce fut ensuite l’obédience pour la mission de Xieng Khouang. Une photographie qui fit la couverture de la revue Pôle et Tropiques le montre partant pour son village de Sam Tom, pieds nus, chapeau de brousse, un large sourire, tirant derrière lui son cheval de bât. Pauvre village que celui auquel il fut affecté, village de néophytes kmhmu’ dont l’instruction n’avait pu être menée régulièrement. Les réflexions de Michel à ce sujet, notées dans le journal de la mission, donnent la mesure de ses souffrances de missionnaire, mais aussi de son grand esprit de foi, teinté d’un humour qui était un des traits attachants de son caractère.

Il est là, tout simplement ; il se fait tout à tous…

Un témoin de cette époque, qui alors était un jeune enfant dans un village kmhmu’ desservi par le Père Coquelet, brosse son portrait :

Il nous enseignait le catéchisme. On l’aidait pour son jardin ou pour porter l’eau. Il habitait dans l’église : en fait, il n’y avait qu’un bâtiment divisé en deux, d’un côté l’église, de l’autre le logement du Père… Je me rappelle qu’il faisait le tour du village en priant, avec son livre. Il avait une soutane noire et une grande croix. En le voyant, les gens étaient rassurés : il avait chassé les mauvais esprits… Il était calme, pas exigeant, il ne criait pas comme d’autres Pères. Il prêtait facilement son cheval…

Le Père Joseph Pillain, o.m.i., qui fut missionnaire au Laos durant plus de douze ans, donne un témoignage plus général concernant Michel et quelques autres missionnaires :

Michel assis au milieu de quelques confrères

Ils ont été, tous, d’admirables missionnaires, prêts à tous les sacrifices, vivant très pauvrement, avec un dévouement sans limite. En cette période troublée, nous avions tous, chacun plus ou moins, le désir du martyre, de donner toute notre vie pour le Christ. Nous n’avions pas peur d’exposer nos vies et de nous aventurer dans les zones dites dangereuses… L’équipe missionnaire du Laos était profondément unie entre elle, et bien soudée autour de son évêque. Nous avions tous le souci d’aller vers les plus pauvres, de visiter les villages, de soigner les malades, et surtout d’annoncer l’Évangile…

En 1961 le Père Michel Coquelet résidait à Phôn Pheng, village chrétien déplacé, proche de Tha Vieng dans la Province de Xieng Khouang, et qui portait aussi le nom de Ban Houay Nhèng. Il s’occupait d’un assez vaste secteur : canton de Nam Say, puis de Xieng Khong, et la région de Tha Vieng, sur la route entre Xieng Khouang et Paksane, au pied de l’imposant massif du Phou Xao. Selon un témoignage, les Pères avaient été dénoncés comme espions par des habitants de villages non chrétiens, jaloux des progrès réalisés sous l’influence de la mission. Comme les autres missionnaires de la région, le Père Coquelet portait alors la barbe pour être identifié comme missionnaire et non pas comme un Américain.

Suivre le Christ jusqu’au bout

Michel devant une case chapelle en brousseLe dimanche 16 avril 1961, Michel célèbre le 2e dimanche après Pâques avec sa communauté chrétienne. Le lundi 17, il part en tournée : on l’appelait pour soigner un blessé a Ban Nam Pan. Le jeudi 20 avril, il rentre chez lui, à vélo. Il ignore encore tout de ce qui est arrivé le 18 à son confrère et ami Louis Leroy, dans un autre secteur de la même région.

Non loin de Xieng Khong Michel est arrêté par la guérilla. Les soldats lui disent : « Votre supérieur vous demande de retourner à Xieng Khouang. » Il répond : « Ce n’est pas vrai : mon supérieur me l’aurait dit autrement, il y a assez de personnes qui vont à Xieng Khouang et en reviennent. » Ce petit dialogue est relaté par un témoin. Abandonnant le vélo, les soldats l’emmenèrent sur l’ancienne route française en direction de Ban Sop Xieng. C’est là, en dehors de la route, que le Père Coquelet fut tué. Il n’avait pas encore 30 ans. Son corps repose en terre laotienne, dans une tombe anonyme.

En même temps, la maison chapelle de Sam Tom était pillée et détruite par un autre détachement. Ce fut ensuite celle de Phôn Pheng ; le chef de ce village chrétien et son secrétaire furent battus, enchaînés, emmenés à travers le village, puis tués, comme le Père, au bord de la route.

Mgr Alessandro Staccioli, o.m.i., vicaire apostolique émérite, témoigne de l’esprit qui animait ces Oblats « martyrs », morts au début des années 1960, dont Michel faisait partie :

Ils ne pensaient peut-être pas tous explicitement au martyre, mais ils ne l’excluaient pas : ils savaient qu’en restant au Laos, étant donné la situation et la haine de la guérilla contre l’Église, ils risquaient d’être tués. Conscients de cette éventualité, jamais, au grand jamais ils n’ont dit qu’ils accepteraient d’abandonner de leur plein gré la mission.

Chacun d’entre eux laissait voir clairement que, pour l’Évangile dans ce pays, il se donnait tout entier, qu’il partageait pleinement les souffrances et la misère des gens. L’Église naît de la Croix et du sacrifice. Cela vaut aussi pour l’Église en pays de mission.

Quand la nouvelle de la disparition du Père Coquelet parvint à Paksane, un des Oblats écrivit dans le journal de la communauté :

Le tragique, lorsque le combat se livre contre de tels ennemis, c’est qu’ils s’arrangent pour étouffer même ce témoignage-là, pour le dénaturer en un crime politique : voilà bien la pire perversion, la signature du démon… Prière, abandon à la Providence, le Royaume de Dieu se sème dans les larmes et par le sacrifice.

3 femmes Lao discutent en souriantQuelques années plus tard, en lisant le journal (« Codex historicus ») de la station missionnaire de Sam Tôm, tenu en 1958-1959 par Michel, son confrère Jean Subra écrit :

C’est avec émotion, une émotion profonde, que j’ai compris dans ce texte… la dureté de l’apostolat à Sam Tom, que Michel Coquelet a éprouvée durant de longs mois, moins de deux ans avant le sacrifice de sa vie, généreusement accepté pour « rester en place » auprès des Kmhmu’ qui lui avaient été confiés. Si un jour on veut montrer comment un missionnaire Oblat a été apôtre comme le Seigneur l’a demandé, qu’on lise ce Codex historicus… Je suis en admiration, émerveillé, de l’esprit de service de Michel auprès de ces Kmhmu’.

Ces Kmhmu’ avaient été baptisés trop vite (me semble-t-il). C’est Michel qui a supporté les lourdes retombées, de ces baptisés qui n’avaient peut-être pas fait un acte réel de Foi. Michel était lucide sur la faiblesse de ces gens-là. Il a quand même tenu le coup. Il était un homme d’humour, un humour merveilleux ; et il les a aimés… Le Bon Pasteur. Michel n’a pas fui… Il est tombé, il a été tué à son poste… Saura-t-on jamais exactement le genre de mort qui lui a été infligé ? Mais sûrement, il a accepté cela pour les Kmhmu’ de Sam Tôm, que j’avais commencé à visiter environ dix ans [auparavant] (1951), depuis le village de Ban Nam Mon. Que Michel Coquelet m’aide maintenant à rester fidèle à Jésus Christ, pour tout ce qu’Il me demandera encore dans le service d’évangélisation du monde.

De l’église pillée et détruite de Michel Coquelet on a retrouvé, bien plus tard, un petit ciboire, aujourd’hui conservé à Paksane. C’est en prière devant ce ciboire, qui contenait le sacrement du Corps de Jésus Christ, que Michel avait puisé la force de suivre son Maître jusqu’au bout, jusqu’au don suprême de sa vie pour le Laos.

Lettre à Léo Deschâtelets, Supérieur général des OMI.

gros plan sur Michel CoqueletSolignac, le 1er Octobre 1956

Mon très Révérend et bien-aimé Père,

« Studiis absolutis, Superiori generali… singuli præsto erunt. [À la fin de ses études, chaque Oblat se mettra à la disposition du Supérieur général.] » C’est après avoir lu et relu cet article de nos Saintes Règles que je prends la plume pour vous écrire non pas une « demande » d’obédience à mon goût, mais l’offrande de moi-même au service du Maître de la Moisson, dans le champ que vous voudrez bien me désigner.

Aussi me serais-je volontiers contenté de vous redire ici la vieille formule : « Ecce ego, mitte me ! [Me voici, envoie-moi !] » Mais je craindrais que cette indifférence ne vous paraisse un manque d’enthousiasme pour les différents ministères de la Congrégation. D’autre part je sais que vous voulez connaître les aspirations mises par le Bon Dieu dans notre coeur, et, surtout, que vous n’envoyez aux Missions que des volontaires.

Alors, c’est cela que je vous dirai simplement : je suis volontaire pour les Missions, et tout spécialement pour la Mission du Laos ! Ce désir, je l’ai depuis le noviciat, où je me souviens d’avoir été fortement impressionné par une conférence du Père Morin, mort depuis, là-bas, du typhus. Il se dégageait de ce Père je ne sais quoi de surnaturel, et il avait un tel accent pour nous parler de sa « pauvre Mission » du Laos, si bien dans la ligne de la Congrégation, que je me suis senti prêt à l’y suivre. Enthousiasme facile de jeune ? Peut-être. Il devait pourtant y avoir autre chose, puisque cela dure encore, après sept ans, et que cette pensée m’a aidé dans ma vie de travail et de prière au scolasticat.

Je vous livre cela en toute soumission, heureux de m’en remettre à votre décision, car il me serait difficile – chacun étant mauvais juge en sa propre cause –, de faire ici la part de la nature et de la Grâce. Maintenant je demande au Bon Dieu dans l’oraison la grâce d’être prêt à accepter votre décision quelle qu’elle soit, conforme ou non à mes aspirations, pour le seul motif d’obéissance à son bon plaisir.

Daignez agréer, mon très Révérend Père, avec l’assurance de mes modestes prières, l’expression de mon filial respect et de mon entière soumission, en Notre Seigneur et Marie Immaculée.

Michel Coquelet, o.m.i.
Scolasticat de Solignac