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Marthe et Marie ? (Lc 10,38-42)

Marthe et Marie… Marthe la besogneuse et Marie l’auditive… Marthe « agitée » dans sa cuisine tandis que Marie a choisi « la meilleure part » ! Marthe la bonasse enfarinée et Marie la mystique… ! L’épisode est connu ! Que n’a-t-on dit sur ces deux-là et sur les vertus du hautement spirituel vs le bassement matériel ?

Et si, en opposant ces deux figures, on faisait fausse route ? Et si, dans cet épisode comme dans l’ensemble des évangiles, c’est de désir dont il était question… ? La question mérite qu’on y regarde de plus près…

Jésus chez Marthe et Marie. Scène tirée de la série nord-camerounaise : Jésus mafa
Série « Jésus Mafa » de Bénédicte de la Roncière

Or donc, nous dit saint Luc, « comme Jésus faisait route, il entra dans un village, et une femme, nommée Marthe, le reçut dans sa maison ». Faisons bien attention car cette petite histoire domestique est loin d’être une anecdote sur la route qui mène Jésus de la Galilée vers sa passion à Jérusalem ! Si au début du récit, c’est effectivement de « Jésus » dont on parle, en fin d’épisode, c’est « Le Seigneur » qui répond à Marthe. Et l’on sait que dans les évangiles, quand ce titre apparaît, c’est que le Ressuscité n’est pas loin ! Comme l’ensemble des évangiles, ce texte n’est pas un extrait du journal que le Jésus de l’histoire aurait tenu sur les routes de Galilée. Il est une catéchèse sur Jésus-Christ, Celui que nous confessons Seigneur ressuscité.

il nous faut donc ajuster la focale. Contre les titres que la plupart de nos Bibles donnent à cet épisode, ce récit ne parle pas de « Marthe et Marie » mais du Seigneur Ressuscité !

Qui est Jésus Ressuscité ?

A cette question, l’ensemble des évangiles donne une réponse : Il est celui qui nous révèle le vrai visage de ce Dieu que nous découvrons en contemplant Jésus : « Qui me voit voit le Père… »

Et qui donc est ce Dieu-là ?

Avant même d’arriver chez Marthe et Marie, on en a déjà une petite idée. L’épisode qui précède parle d’un Bon Samaritain qui sur la route, etc… Un récit qui semble nous dire : « Quand un homme agonise au bord de la route, tu t’arrêtes s’il te plaît ! » Tel est le Dieu que nous révèle Jésus-Christ ! A priori, il ne devrait pas être totalement opposé au fait que Marthe souhaite servir !

Et l’épisode qui suivra nous enseignera comment nous adresser à Dieu : « Notre Père, que ton Nom soit sanctifié… ».

Opposer la figure du service (Marthe) à celle de la contemplation (Marie) n’a donc aucun sens… L’architecture de l’évangile semble bien plutôt nous inviter à en approfondir la mystérieuse articulation…

Cet épisode a donc pour fonction de contribuer à nous révéler le visage de Dieu. Et il le fait à la manière d’un récit. Or nous avons tous lu au moins un roman. Nous avons tous suffisamment vu de films d’aventure pour savoir qu’un bon scénario nécessite une intrigue, que la mise en valeur du héros réclame la présence de son opposé, un anti-héros. Plus celui-ci sera sombre, plus celui-là brillera de la lumière de ses exploits !

En bon narrateur, Luc n’échappe pas à la règle. Son héros, celui qui va nous révéler le vrai visage du Père, c’est Jésus, avons-nous dit. Il y a donc bien du conflit dans ce récit, mais nous nous trompons de protagonistes. L’enjeu ne porte pas sur l’opposition entre Marthe et sa sœur mais entre Marthe… et Jésus ! Et, bien évidemment, il est inégal. Si nous confessons que Jésus est le Seigneur ressuscité, alors nous reconnaissons que c’est Lui qui va nous révéler, de façon juste, le vrai visage de Dieu !

détail du tableau centré sur Marthe qui pile le milCommençons donc par l’autre. Par son attitude, quel visage mal ajusté de Dieu Marthe révèle-t-elle ? Qui donc est Dieu pour Marthe ? Il est Celui à qui l’on donne, Celui à qui l’on se donne. Marthe se donne à Dieu, avec toute la générosité et toute la force dont elle est capable. Même si cela doit lui coûter, même si elle doit en passer par des sacrifices. Et quand ça coûte, on demande de la reconnaissance : « Tu pourrais dire à ma sœur de m’aider. »

Le Seigneur ne reproche pas à Marthe d’accueillir ses invités. Mais Il lui révèle que son attitude devant Dieu est mal ajustée. C’est une attitude qui se trompe de Dieu, qui trahit le vrai visage de Dieu. Elle voulait servir Dieu ? Au bout du compte, elle s’inquiète et elle s’agite pour bien des choses. Quel est donc ce Dieu qui, pour être servi, exige un tel état ? Le Dieu de la vie peut-il être complice de processus qui engendrent excitation, fatigue et énervement ? Dieu serait-il du côté de la mort ? Non, décidément, Marthe se trompe sur Dieu, Marthe se trompe de Dieu !

C’est ça que lui révèle « le Seigneur » : Dieu n’est pas celui à qui l’on donne. Il est Celui qui se donne, Celui que l’on reçoit. L’attitude juste en sa présence, c’est l’accueil : accueillir l’amour de Dieu, accueillir cette Vie qu’Il est et qu’Il donne en surabondance, gratuitement, comme une source inépuisable et jaillissante. Jésus ne demande pas à Marthe d’arrêter de servir. Il l’invite à servir en adoptant la seule attitude spirituelle qui soit juste, l’attitude de l’accueil, celle que symbolise Marie :

Détail du tableau centré sur Marie qui écoute JésusQue fait Marie ? Elle prend la meilleure part. Ce n’est peut-être pas très poli mais c’est la logique même de Dieu, d’un Dieu qui ne calcule pas, qui donne en abondance. Car Dieu a de quoi donner la meilleure part à tous ceux qui veulent la recevoir. Rappelons-nous la multiplication des pains : il en est resté douze corbeilles ! Rappelons-nous le fils prodigue : quand il est revenu tout penaud après avoir dépensé 50% de la fortune paternelle, le Père avait encore de quoi l’accueillir avec surabondance ! L’attitude de Marie est juste car elle reconnaît la surabondance de la vie et de l’amour de Dieu, et elle en vit.

La maladresse de Marthe nous permet de découvrir que l’attitude juste du disciple est d’accueillir la vie de Dieu. Pour la garder égoïstement ? Évidemment non ! Quand une source coule, on ne l’emprisonne pas. Au contraire, on fait en sorte qu’elle coule pour tous. Si la vie que Dieu donne est surabondante, alors, à notre tour, en Église, donnons-la au monde avec abondance, sans mesure, sans calcul. Ce texte nous invite à entrer dans une dynamique d’évangélisation qui ne fait pas de séparation entre l’évangélisateur et le monde à évangéliser. Tous, nous nous recevons d’une même source surabondante.

Bertrand Evelin, omi