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Félicité de Lamennais

Lamennais (1782 – 1854) est, au départ, un Chateaubriand bis : breton, romantique (avant l’heure), catholique, royaliste. A l’arrivée, ils n’ont plus en commun que leurs racines bretonnes, leur religion et l’amitié qui continue de les lier malgré tout. L’abbé a viré au socialisme et le romantisme n’est plus vraiment son souci. Il a le même itinéraire politique atypique que Dumas et Hugo – dont il est directeur de conscience à partir de 1821 – mais en plus radical : Lamennais va de l’ultraroyalisme à un socialisme plus marqué et plus précoce que ses collègues. Il est ainsi l’un des rares à dire après la révolution de juin 1848 que la toute jeune République s’est reniée en réprimant la révolte des ouvriers parisiens.

Des partis et des amitiés politiques, il est plus libre que Chateaubriand, Dumas et même Hugo qui entretiennent longtemps des relations avec une branche ou l’autre de la famille royale. »(http://www.terresdecrivains.com)

Eugène de Mazenod avait pour Lamennais une réelle et haute estime. Après la condamnation de ce dernier par Rome, Eugène de Mazenod sut faire la distinction entre la doctrine, qu’il ne suivait pas, et l’homme dont il admirait le talent. Il eut plusieurs fois l’occasion d’échanger du courrier avec lui, ou de l’accueillir à Marseille, notamment quand Lamennais partit à Rome avec ses deux compagnons Lacordaire et Montalembert afin de soumettre sa doctrine au Pape.

A partir des notes du Fondateur et des écrits de Lamennais, a été reconstitué l’interview ci-dessous :

Monsieur l’abbé, vous faites partie des figues incontournables qui marquèrent l’Eglise de France dans les années 1830 – 1850. Vous êtes contemporain de Mgr de Mazenod. Avez-vous eu l’occasion de le rencontrer et de confronter vos idées avec lui ?

D’abord, je vous demanderai de ne pas me donner ce titre de ‘monsieur l’abbé’ puisque l’Eglise catholique m’a rejeté. Je vous sais gré de reconnaître, avec plus d’un siècle de retard, que j’ai marqué la pensée chrétienne de mon temps. Ce n’était pas l’avis des évêques d’alors, sauf précisément celui de Mgr de Mazenod.

Pourquoi l’Eglise de France vous a-t-elle rejeté, comme vous le prétendez ?

Sans doute simplement parce que j’avais trente ans d’avance sur la question des Etats pontificaux et de l’unité italienne, cinquante ans d’avance à propos du catholicisme social, sur les encycliques des Papes, et soixante-dix ans d’avance sur la question de la séparation de l’Eglise et de l’Etat.

Et Monseigneur de Mazenod dans tout cela ?

Le cardinal Guibert

Je n’ai fait sa connaissance qu’assez tard. Mais par contre j’ai bien connu, dès les années 1820, quelques-uns de ses premiers compagnons, en particulier un certain Jean Baptiste Honorat qui aura beaucoup à souffrir en prenant le partis des plus exploités au Canada. Mais également l’abbé Hippolyte Guibert…

Qui fera une brillante carrière ecclésiastique comme cardinal archevêque de Paris ?

Exactement ! Et aussi comme homme de paix et de réconciliation après la terrible crise de la Commune et le siège de Paris.

Mgr de Mazenod le savait ?

Il n’était encore qu’abbé à ce moment-là. Oui, il le savait et je me plais à croire, sans outrecuidance, qu’il n’était pas loin de partager certaines de mes idées, en particulier mon point de vue contre Louis Philippe, le roi mannequin, et mon combat pour la liberté religieuse, combat qui me valut d’ailleurs quelques semaines de prison !

Pourtant, le Père de Mazenod s’est désabonné de votre journal et en a interdit la lecture dans sa Congrégation. Pourquoi ?

Il y a plusieurs raisons. Mais je crois que notre premier point de divergence réside dans la rémunération du clergé. Je voulais que les prêtres soient indépendants du pouvoir et qu’ils reçoivent de quoi vivre uniquement des fidèles. L’abbé de Mazenod estimait qu’un salaire versé par l’Etat n’était qu’un juste retour des multiples services, en particulier sociaux, rendus par l’Eglise, en forme de suppléance des carences de l’Etat. Il est vrai qu’il n’y avait guère que l’Eglise pour s’occuper de la scolarisation des enfants pauvres, des hospices de vieillards, de nombreux hôpitaux et dispensaires, des prisons et bien d’autres choses encore.

portrait de Lamennais

Malgré ses divergences, le père de Mazenod n’a pas rompu avec vous ?

Non, du moins pas encore. Nous étions alors dans les années 1830. Non seulement il n’a pas rompu mais il fait même mon éloge à son ami le père Tempier. Tenez, j’ai encore une copie de cette lettre : « Que M. de Lamennais termine les ouvrages que l’Europe attend avec une juste impatience. C’est là la vocation de ce grand homme. »

Voilà un bien beau compliment à votre égard !

Oui. En 1831 quand le diabolique monseigneur d’Astros dénonce cinquante prétendues erreurs dans mes écrits et veut me faire condamner par l’ensemble de l’épiscopat français, le père de Mazenod persuade son oncle Fortuné, évêque de Marseille de ne pas signer.

C’est alors que nous avons correspondu. Dans une lettre que j’ai précieusement gardée, il m’appelle l‘apologiste le plus marquant de son temps. Il va même jusqu’à recommander dans tout le diocèse de Marseille une quête pour une de mes œuvres.

Cet attachement de l’abbé de Mazenod alors que l’épiscopat français vous dénonce à Rome ne lui vaut-il pas quelques ennuis ?

Notre Dame du Laus

Oh si. Certains évêque ne le lui pardonneront pas, et l’évêque de Gap chassera même la Congrégation des Oblats du sanctuaire de Notre Dame du Laus. Qui sait s’il ne faut chercher dans le soutien qu’il m’accorda alors la raison pour laquelle Mgr de Mazenod ne devint jamais cardinal.

Vous exagérez peut-être un peu votre importance !

Libre à vous de le croire. Mais je vous rappelle que l’abbé de Mazenod avait pris un gros risque, en mars 1832, en me donnant une lettre de recommandation pour la Curie romaine. Les portes m’étaient alors fermées. L’abbé de Mazenod me fit recevoir dans la communauté d’Aix et m’y fit donner une conférence. Avec son oncle l’évêque, il me reçut à l’évêque de Marseille et m’autorisa à faire une nouvelle conférence publique. Tout cela, je ne l’ai pas oublié.

L’avez-vous revu après votre condamnation par Rome ?

Non. Pour un homme comme Mgr de Mazenod, les choses étaient claires : « Rome avait parlé, on devait obéir. »

Pas pour vous ?

Pour moi, Rome avait parlé, mais Rome s’était trompé. A partir de là, nos routes se sont séparées. Mais je voudrais ajouter tout de même quelque chose. Mon ami l’historien Henrion qui était aussi l’ami de Mazenod me dit que jamais, ce dernier n’avait prononcé la moindre parole contre moi. Bien plus, il ne supportait pas qu’on dise du mal de moi en sa présence.

Mazenod était fidèle en amitié et malgré notre désaccord, il m’a toujours respecté. C’était un grand monsieur.

Concocté d’après les lettres d’Eugène de Mazenod des 13 sept 1830,
2 octobre 1830, 7 avril 1831 et 24 octobre 1831 : Rey tome II page 175
et d’après la correspondance de Félicité de Lamennais.

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